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amenait en personne à son aide. Dans cette affaire, les forces que l’ennemi démasqua furent évaluées à quatre mille hommes, mais on savait qu’il y avait d’autres rassemblemens échelonnés dans la montagne, entre le Sig et l’Habra.

Deux idées hardies souriaient à l’imagination entreprenante du maréchal Clauzel : laisser d’abord à son adversaire le loisir de réunir tout son monde afin d’en finir avec lui d’un seul coup, puis frapper d’étonnement les Arabes en conduisant jusqu’à Mascara, en dépit de l’Atlas et d’Abd-el-Kader, par-dessus la montagne comme à travers la plaine, le lourd attirail de son artillerie et de son convoi. Joueur audacieux, il lui plaisait de jeter ce défi à la fortune. Le camp du Sig, destiné l’avant-veille à garder la batterie de campagne et les voitures de l’armée, allait rester désert, comme un monument de son passage et comme un lieu d’étape pour les expéditions à venir. Après avoir donné à ses troupes trente-six heures de repos, il les remit en chemin, le 3 décembre, au point du jour. Comme il ne voulait pas, dans cette saison, faire mouiller inutilement les hommes, il avait donné l’ordre d’établir pour l’infanterie, sur le Sig, deux ponts de chevalets ; la cavalerie, l’artillerie et le convoi traversèrent à gué la rivière, qui n’avait que quelques pouces d’eau. Les ponts défaits, la brigade d’arrière-garde, qui avait attendu que le génie eût chargé les chevalets sur ses voitures, se trouva séparée du gros de l’armée. Une masse de cavaliers arabes essaya, mais sans succès, de se jeter dans l’intervalle. Repoussée par le feu du 47e, cette cavalerie se replia d’abord au pied de la montagne, et là, reformée par goums sous les yeux d’Abd-el-Kader, elle s’ébranla de nouveau pour se jeter dans le flanc des colonnes en marche.

A côté du maréchal Clauzel, le duc d’Orléans suivait avec attention les péripéties du combat. Venu en Afrique, disait-il avec une modestie noble, pour apprendre, sous un manœuvrier justement célèbre, l’art de manier les troupes, il n’avait pas voulu de commandement; c’était en volontaire qu’il faisait campagne. Plus tard, dans un des plus beaux fragmens de ces Campagnes de l’armée d’Afrique, œuvre excellente, inachevée par malheur, et dont ses fils ont recueilli pieusement les héroïques récits, voici comment il a esquissé en traits saisissans la leçon de tactique à laquelle il lui avait été donné d’assister, le 3 décembre 1835, dans la plaine du Sig, aux dépens d’Abd-el-Kader : « l’émir s’ébranle avec dix mille cavaliers déployés par goums sur plusieurs lignes, faisant retentir l’air de leurs cris glapissans. Au milieu des étendards et d’un groupe de chefs étincelans, Abd-el-Kader est reconnaissable à l’extrême simplicité de son costume. Cette masse imposante, dont la formation et l’aspect rappellent les armées du moyen âge, s’avance