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de résolution et d’audace, une véritable et ardente ambition, des calculs et des plans, vous méconnaissez, comme Saint-Simon, son véritable caractère, et en donnant, dans l’histoire, à Mme de Maintenon un rôle qu’elle n’y a pas tenu, vous altérez, vous dénaturez, vous faussez l’histoire à son tour; et voici de quelle manière. Puisque, en effet, après avoir travaillé vingt ans, obscurément et obstinément, à se frayer un chemin vers le trône, elle ne voulut revendiquer, quand elle y fut assise, aucun des honneurs qu’elle eût pu prétendre, il faut donc qu’elle fût plus avide, en véritable ambitieuse, des réalités que de l’appareil extérieur du pouvoir. De là on se trouve conduit à chercher sa main dans toutes les affaires, — affaires politiques, affaires religieuses, affaires financières, — la preuve de son action, la trace de son influence, et, ne l’y découvrant pas, on est tenté de croire, et l’on dit qu’à toutes ses autres qualités politiques elle a su joindre une dissimulation ou une hypocrisie supérieures. El ainsi se forme dans l’imagination je ne sais quelle idée d’un pouvoir occulte, d’autant plus actif et plus dangereux qu’il fut plus mystérieux, je ne sais quel soupçon d’une œuvre de ténèbres et d’horreur menée par des voies inconnues, je ne sais quel fantôme, enfin, dont l’inanité même échappe aux prises de la critique.

Mais, pour rendre justice à Mme de Maintenon, il suffit de la diminuer; et de la rabaisser pour la réhabiliter. Toutes les calomnies qui pèsent encore sur sa mémoire, c’est qu’on l’a crue, c’est qu’on se l’est représentée beaucoup plus intelligente, beaucoup plus énergique, beaucoup plus habile, et, en un mot, beaucoup moins ordinaire qu’elle ne le fut réellement. Car je ne pense pas, avec Saint-Simon ou la Palatine, qu’on lui en veuille de n’être pas née, comme on disait alors, et d’avoir usurpé près du roi des fonctions qui n’appartenaient qu’à la meilleure aristocratie. Mais on se figure toujours qu’elle prépara de longue date sa prodigieuse fortune, et que, l’ayant atteinte, elle en usa sans mesure. Il lui eût fallu pour cela des qualités qu’elle n’avait point, une étendue de vues dont elle était incapable, des goûts et des ambitions qui ne furent point les siens. De telle sorte qu’au fond, et à prendre comme il faut les choses, on lui reproche d’avoir été trop modérée dans l’exercice du pouvoir, puisqu’on lui reproche de n’avoir pas rempli, comme on le voudrait, la situation qu’elle avait souhaitée. Au contraire, en la réduisant à sa juste mesure, et la voyant vraiment telle qu’elle fut, dans la préparation comme dans l’usage de sa haute fortune, ou trouve une femme de sens et d’esprit, froide et fière, qui manqua de plusieurs qualités, de sensibilité, par exemple, et de passion, mais peut-être surtout de franchise, honnête par goût autant que par principe, aimable d’ailleurs quand elle le voulait, mélancolique au fond; une femme, trompée ou trahie par la vie, qui tout naturellement exerça sur Louis XIV, pendant trente ans que