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Ils estimaient que l’Allemagne est de force à se défendre victorieusement contre celui de ses voisins qui aurait l’audace de l’attaquer, qu’elle n’a pas d’autres hasards à courir que les risques d’une coalition, et le gouvernement lui-même leur donnait l’assurance que, par son habileté, il avait pourvu, paré à tout, qu’aucune coalition n’était à craindre. Aussi se croyaient-ils autorisés à ne pas prendre au sérieux les dangers qu’on leur signalait. Ils savaient que toutes les fois qu’on désire obtenir de leur docilité chagrine quelque grand sacrifice et une augmentation des charges publiques, on a soin de peindre le diable sur la muraille. Ce diable ne les effrayait point; ils lisaient dans ses yeux la douceur de ses intentions très pacifiques. Cependant ils s’étaient résolus à tout accorder, à ne refuser « ni un homme ni un gros. » Ils se réservaient seulement le droit d’examiner de nouveau la question dans trois ans. A peine leur réponse fut-elle connue, on leur donna lecture d’un décret de dissolution rédigé d’avance. Ce coup de théâtre ne les étonna point; ils avaient prévu leur sort. Avant de lancer sa foudre, M. de Bismarck la leur avait montrée, il avait pris plaisir à la promener sur leurs têtes.

La presse conservatrice de Prusse n’est pas toujours bien informée ; elle s’abuse quelquefois sur les desseins du chancelier de l’empire. Il y a quelques semaines, plus d’une feuille officieuse de Berlin annonçait ouvertement ou à mots couverts que si le Reichstag votait le projet de loi pour trois ans, on réussirait peut-être à s’entendre, qu’on ne se brouillerait pas sur une question d’années, que l’éternat est un principe, que le septennat n’en est pas un, qu’on trouverait les termes d’un accommodement. Ces journaux mal renseignés ou très perfides ne tardèrent pas à se raviser; ils acquirent la certitude que M. de Bismarck ne se prêterait à aucune concession, qu’il ne démordrait pas de son septennat, et ils découvrirent du même coup que le septennat est un principe aussi bien que l’éternat. Personne ne voulant céder, la crise parut inévitable.

Les députés ne se faisaient aucune illusion; ils étaient intimement convaincus que depuis longtemps M. de Bismarck cherchait une occasion de les mettre à pied, de les renvoyer devant leurs électeurs, que c’était un point résolu dans son esprit. — « Je crois, disait M. Bamberger dans la séance qui précéda le vote, que la situation de l’Europe offre aujourd’hui plus de garanties de paix qu’il y a quelques mois; mais plus on réussira à garantir la paix extérieure, plus on agira violemment contre le Reichstag, non que le chancelier de l’empire veuille le supprimer, mais il veut le tenir à sa discrétion ; il entend n’avoir affaire qu’à un Reichstag souple et docile, qui accepte la responsabilité de toutes les dépendes qu’il juge utiles ou nécessaires. Le chancelier poursuit ce projet depuis vingt ans, il emploie pour arriver à ses fins tous les