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disent : Tout est bien. » — Et séparant judicieusement l’univers physique, où la finalité lui paraît incontestable, de l’humanité où il ne voit que désordre et souffrance, Voltaire ajoute : « Si on entend par ce Tout est bien, que la tête de l’homme est bien placée au-dessus de ses deux épaules ; que ses yeux sont mieux à côté de la racine de son nez que derrière ses oreilles ; que son intestin rectum est mieux placé vers son derrière qu’auprès de sa bouche ; à la bonne heure ! Tout est bien dans ce sens-là. Les lois physiques et mathématiques sont très bien observées dans sa structure. Qui aurait vu la belle Anne de Boulen, et Marie Stuart, plus belle encore, dans leur jeunesse, aurait dit : Voilà qui est bien ; mais l’aurait-il dit en les voyant mourir par la main d’un bourreau? L’aurait-il dit en voyant périr le petit-fils de la belle Marie Stuart, par le même supplice, au milieu de sa capitale? L’aurait-il dit en voyant l’arrière-petit-fils plus malheureux encore, puisqu’il vécut plus longtemps? etc. »

Tel est le déisme dont Voltaire emprunte à Bolingbroke les traits essentiels, et dont il fait en France l’évangile de la libre pensée. Mais avec une circonspection qui, au milieu de ses témérités, ne l’abandonne jamais, il s’efforce d’établir (est-il bien sincère?) que ce déisme n’a rien de menaçant pour l’ordre religieux, civil et politique tel qu’il existait alors. Les déistes ne veulent supprimer aucun culte, ils ne font nul appel à la violence. Ils sont les plus soumis des sujets. La religion qu’ils professent est la religion primitive; elle, est seule universelle, seule immuable, parce qu’elle est seule conforme à la raison et à la morale ; elle n’attend son triomphe que du progrès des lumières et de la vertu. Voltaire se défendant de faire œuvre de démolisseur! La chose est piquante et je ne sais si elle avait été remarquée.


V.

A la mort de Bolingbroke (décembre 1751), le grand débat qui avait passionné la pensée religieuse en Angleterre depuis le commencement du siècle semble épuisé. Déistes et théologiens orthodoxes sont à bout d’argumens, et l’intérêt public se lasse de polémiques où le bon goût, la courtoisie, la sincérité, font trop souvent défaut. où avait trop oublié que la religion est surtout affaire de cœur, de foi, de pratique : les âmes ne se nourrissent pas, ne se consolent pas avec des syllogismes. De là le succès presque miraculeux de la prédication de Wesley.

Je n’ai pas à retracer, même sommairement, l’histoire de ce mouvement méthodiste que M. Leslie Stephen considère comme ayant été à certains égards le fait le plus important du siècle en son