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la création (1730) marque le point culminant de cette grande controverse qui remplit les dix dernières années du XVIIe siècle et la première moitié du XVIIIe siècle en Angleterre. Voltaire quitte ce pays en 1728, rapprochement significatif. Il part tout imprégné des. principes, et des argumens du déisme anglais ; l’ouvrage de Tindal va lui fournir de nouvelles armes. Nul doute qu’il ne l’ait mis largement à profit.

Par une coïncidence qui ne laisse pas que d’être piquante, si Voltaire fut élève des jésuites, Tindal se convertit un instant au papisme, et, on peut le supposer, de très bonne foi. Chez l’un comme chez l’autre, le rationalisme fut une protestation de la pensée comprimée. Ce n’est pas que Tindal ait eu à souffrir, comme Toland et même comme Voltaire, pour la cause de la libre pensée. Confortablement installé dans son bénéfice à Oxford, il attendit d’avoir dépassé soixante-dix ans pour publier l’ouvrage qui devait renouveler en l’aggravant le scandale de Christianity not mysterious. Le premier volume parut seul de son vivant : le manuscrit du second fut supprimé après sa mort par l’évêque Gibson, qui l’eut entre les mains. Procédé commode de réfutation. Mais le premier volume contenait déjà tout le venin. C’est au point de vue historique que se place Tindal. Dieu, dit-il en substance, est infiniment sage, bon, juste et il est immuable. De même, la nature humaine ne change pus. Donc, la loi que Dieu établit pour les hommes doit être parfaite et inaltérable. Comment comprendre alors que ce Dieu ait fait choix, dans la totalité du genre humain qui remplit tous les siècles de l’histoire, d’une obscure tribu, d’un peuple à moitié barbare, perdu dans un coin de l’Orient? Comment comprendre surtout que sa loi parfaite et éternelle puisse être confondue avec ce code de dogmes et de prescriptions frivoles ou ridicules qui constituent la foi et le culte des juif et des chrétiens? Eh quoi! le Dieu de l’univers ne s’est révélé qu’à un si petit nombre de ses créatures raisonnables, et les autres pour avoir ignoré ou méconnu cette prétendue révélation sont destinées à des supplices qui ne finiront pas?

On sait tout ce que Voltaire a tiré d’un pareil thème. Sa verve est intarissable sur le soleil arrêté par Josué, sur les ordres donnés pur Dieu au prophète Ézéchiel et l’étrange nourriture qu’il lui impose, sur Oolla, et Ooliba, sur les démons envoyés dans des corps de pourceaux. Ces plaisanteries, dont quelques-unes n’ont d’autre fondement qu’une complète inintelligence du texte hébreu, nous laissent froids aujourd’hui. On souffre à voir un beau génie s’acharner à des procédés de polémique dont le moindre défaut est trop souvent d’offenser le goût. Mais, en somme. Tindal et Voltaire mettent le doigt sur une des plus graves difficultés qu’on puisse élever contre une religion qui s’est produite et développée dans le cours