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une caserne ou un hôpital ; qu’il soit question des lavoirs publics, des cimetières, des abattoirs ou de tout autre édifice communal, l’économie se concilie parfaitement avec la salubrité. Pour être harmoniques, les créations d’une époque doivent répondre à l’idée qui la dirige. La nôtre est essentiellement positive et utilitaire, il faut que ses édifices se conforment à son sentiment. Les constructions doivent être, de nos jours, confortables, hygiéniques, élégantes dans leur simplicité et surtout économiques, parce que les sociétés démocratiques n’ont pas le droit de sacrifier l’utile à l’agréable, et qu’il faut que les dépenses répondent au but pour lequel elles ont été votées.

Lorsqu’une ville de second ordre se donne le luxe d’un théâtre, d’une mairie, d’un lycée ou d’un hôpital, il faut qu’elle renonce à exciter l’admiration des voyageurs et la jalousie des localités voisines. Le temps n’est plus aux monumens artistiques, la pensée des peuples a pris une autre direction. Au moyen âge, ils élevaient à Dieu les cathédrales qui font encore notre admiration et dont les clochers montent vers le ciel comme une prière. Au XVIIe siècle, la France construisait pour le grand roi des palais décoratifs et majestueux comme lui. C’était encore le grand art sous une forme amoindrie. Aujourd’hui, les nations ne peuvent plus se livrer à de pareilles prodigalités. Elles doivent réserver leurs ressources pour le bien-être et la sécurité de la population tout entière, et ceux qui les représentent n’ont pas le droit d’en distraire une partie, pour satisfaire la vanité bourgeoise de quelques conseillers municipaux. Lorsque les villes commettent cet anachronisme, il est si peu dans l’esprit du temps, qu’il n’aboutit qu’à l’enfantement d’un de ces monumens grotesques dont on voit un si grand nombre dans les petites villes et qui ne servent qu’à attrister les regards du voyageur.

Il faut que l’hygiène s’habitue à compter avec le budget des communes. Les médecins, dans leurs conceptions, poursuivent un idéal de salubrité et de bien-être dispendieux à réaliser; les ingénieurs, de leur côté, caressent un idéal d’élégance et de richesse plus coûteux encore. Les uns et les autres doivent s’habituer à proportionner leurs exigences aux ressources des localités. Lorsqu’on bâtit une école, un lycée, il suffit que l’espace, l’air et la lumière soient libéralement dispensés aux enfans qui doivent y vivre ; mais il est tout à fait inutile de leur élever des palais en opposition absolue avec les demeures modestes de leurs parens; et, quand il s’agit d’un hôpital, il ne faut jamais perdre de vue que les ressources de la charité sont bornées, et que, plus on dépense d’argent pour la construction, moins il en reste pour le traitement des malades.