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auparavant, délaissé par la faveur populaire, il fut accueilli par une foule enthousiaste. C’était, pour beaucoup, à la médiocrité de ses prédécesseurs qu’il devait ce regain de popularité; entre eux et lui, la comparaison était toute à son avantage ; on le regrettait déjà sous le général Berthezène; sous le comte d’Erlon, on le réclamait à grands cris. Son attitude à la chambre des députés, en face des ennemis de la conquête, avait achevé de rétablir son prestige. Tel on l’avait vu en 1831, tel on le revoyait en 1835. En faveur de ses qualités, qui paraissaient plutôt rajeunies, on oubliait volontiers ses défauts, ou l’on aimait à croire qu’il s’en était corrigé : on se trompait. La confiance excessive en soi-même, la mobilité d’esprit, l’imprévoyance, les illusions étaient toujours aussi grandes. Il en donna tout de suite la preuve dans une proclamation dont l’optimisme promettait bien plus qu’il ne pouvait tenir.

« Habitans de la régence d’Alger, disait-il, ma nomination au gouvernement des possessions françaises dans le nord de l’Afrique est un acte des plus significatifs des intentions du roi des Français. Quelque compliquées que soient en ce moment les affaires, je parviendrai, j’en ai l’espoir, avec l’aide de l’administration et le concours des habitans, à rétablir la paix, après avoir puni les rebelles, quels qu’ils soient et où qu’ils se trouvent, à favoriser toutes les entreprises agricoles et commerciales dans une grande étendue de pays, à attirer des cultivateurs européens dans la régence pour fertiliser, par leurs travaux, les terres les plus riches du monde connu et à donner ensuite un grand développement au commerce de la colonie, développement dont le commerce et l’industrie de la métropole ressentiront aussi les heureux effets. Habitans de la régence d’Alger, livrez-vous à l’espérance; elle ne sera pas déçue sous mon administration. Formez et exécutez librement des entreprises dans l’étendue des terres que nous occupons, et vous y recevrez toute la protection de la force qui est à ma disposition ; mais sachez aussi que cette force dont je dispose n’est qu’un moyen secondaire; car c’est seulement par l’émigration européenne, le travail des colons et le commerce que nous jetterons ici des racines profondes. Nous formerons, à force de persévérance, un nouveau peuple qui grandira plus vite encore que celui qui commença sa création au-delà de l’Atlantique, il n’y pas un siècle. »

Cette déclaration n’était pas du tout en rapport avec les instructions que le nouveau gouverneur avait reçues du maréchal Maison, ministre de la guerre. Il lui avait été bien recommandé, précisément au sujet des entreprises commerciales, industrielles et agricoles, de prévenir des rêves et des prétentions que le gouvernement ne pouvait admettre et de se garder bien d’encourager prématurément des essais de colonisation dont le résultat, dans les circonstances