Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/623

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la sécurité et de la défense était l’unique pensée de leurs habitans. Il fallait se protéger contre les bandes armées, les compagnies franches, les routiers, soldats et bandits qui battaient la campagne en vivant de pillage. Il fallait résister aux exigences des seigneurs et à leurs attaques à main armée. Les bourgeois faisaient bonne garde. Ils se réunissaient à l’appel du beffroi et couraient aux murailles. Chacun se serrait contre son voisin. Les maisons se serraient autour de l’église, qui les dominait de toute sa hauteur et semblait les protéger. Pour occuper le moins de place possible, elles s’accolaient par leurs plus larges surfaces et ne présentaient à la rue qu’un étroit pignon dont les étages surplombaient, de telle sorte que les toits semblaient près de se toucher. De la ruelle étroite qui serpentait entre ces édifices sombres, on n’apercevait qu’une bande du ciel. Les rues mal pavées étaient de véritables cloaques. Au milieu coulait un ruisseau fangeux, alimenté par les eaux pluviales qui tombaient des toitures sans gouttières. Dans ce courant sordide, les habitans venaient déverser leurs eaux ménagères et tout ce dont ils voulaient se débarrasser. Les cours, en forme de puits étroits et profonds, recevaient tout le reste, et les détritus s’y amoncelaient, jusqu’à ce qu’une pluie abondante vînt les entraîner. Les habitans profitaient de cette bonne fortune pour pousser toute cette fange au ruisseau devenu torrent, et la ville, se trouvant nettoyée, recommençait à s’infecter de nouveau, jusqu’au prochain orage. Mais les orages n’étaient pas toujours d’aussi bonne composition. Lorsque l’eau tombait en trop grande abondance, les ruisseaux débordaient et remplissaient les ruelles. Il fallait, pour passer d’un côté à l’autre, jeter un pont sur ce courant boueux; c’était le pont chancelant sur lequel, suivant l’expression de Boileau, le plus hardi laquais ne marchait qu’en tremblant. Lorsque le niveau montait davantage, l’eau se répandait dans les rez-de-chaussée situés le plus souvent en contre-bas de la rue, et y introduisait une humidité qu’aucun courant d’air, que pas un rayon de soleil ne venait dissiper. Dans la plupart des maisons pauvres, le sol n’avait ni carrelage ni plancher, et cette inondation le transformait momentanément en un petit marais. L’étroit couloir qui conduisait à l’escalier en colimaçon était également en terre battue et, pendant l’hiver, il se transformait en un sentier boueux. Les étages supérieurs, ne recevant le jour que par leur face la plus étroite et à travers les petits vitraux de leurs petites fenêtres, étaient tristes, obscurs et le plus souvent éclairés par une chandelle fumeuse.

Les logis des gens riches, plus élégans, plus commodes, n’étaient guère plus hygiéniques; ils subissaient, d’ailleurs, la solidarité du voisinage, et les épidémies ne les épargnaient pas plus que les masures :