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consiste en simples traductions du français ; les volumineuses productions des Gomberville, des La Calprenède, des Scudéry sont mises en anglais ; et les idées françaises sont adoptées de si bon cœur que même pendant la guerre civile et sous Cromwell, cette fureur de traduire ne s’arrête pas. Dans beaucoup de livres on lit, il est vrai, tout le contraire, mais cette indication erronée vient d’un simple raisonnement a priori et n’a d’autre motif que l’invraisemblance d’une mode identique dans le Londres des têtes rondes et le Paris des précieuses. Dans la réalité néanmoins, Polexandre fut publié en anglais en 1647; Ibrahim, ou l’Illustre Bassa, en 1652, le Grand Cyrus en 16ô3, l’année même où Cromwell devint protecteur; la première partie de Clélie en 1656.

Seulement en France, ces romans aient un sens et une raison d’être et ils ont laissé, malgré Boileau. une trace durable dans notre littérature. On avait, à ce moment chez nous, dans la vie réelle, dans les arts, le culte des vertus mâles et fières bien que mondaines. Du commencement à la fin du siècle, les modèles de héros véritables ne manquent pas : Henri IV, Riche, Mme de Longueville, Condé, Louis XIV, Turenne, tantôt par leurs qualités, tantôt par leurs travers, ressemblent aux héros de romans et popularisent dans notre pays un idéal de noblesse et de grandeur. Pour plaire et être admiré, il fallait montrer un caractère élevé ; les hommes devaient être supérieurs à la fortune et les femmes paraître supérieures à l’attrait des passions; le héros faisait étalage de fierté, la femme de chasteté. Tels étaient les personnages réels les plus admirés ; tels furent les personnages de roman et de tragédie pour qui le public montra le plus de goût, sans, du reste, distinguer entre eux. Le Cid, Alceste, Artaban, Nicomède, étaient tous gens de même famille et pas plus les uns que les autres ne paraissaient comiques ou ridicules : c’est pourquoi Montausier était bien loin de s’offenser qu’on crût retrouver en lui des traits du caractère d’Alceste, et c’est pourquoi Mme de Sévigné, admiratrice passionnée de Corneille, s’enthousiasmait d’aussi bonne foi pour les héros de romans que pour ceux des grandes tragédies, louant « la beauté des sentimens, la violence des passions, la grandeur des événemens et le succès miraculeux de leur redoutable épée. »

Mais, chez les Anglais, rien de semblable ; leur plus grand homme, Cromwell, n’a rien d’héroïque, et leurs lettrés copient les nôtres, comme Charles II copie Louis XIV, avec le même succès et à la même distance. Au lieu du Grand Cyrus, ils ont la Parthénisse de Roger Boyle : la Conquête de Grenade leur tient lieu du Cid; Orinda remplace Arthénice, et la maison des Philips à Cardigan, l’hôtel de Rambouillet. Une seule œuvre paraît vers la fin du siècle, où se