un esclave dans les angoisses de la peur ? Et moi, tout aussitôt, je lui déchargeai mon pistolet dans la gorge, et il ne parla jamais plus. Je le tuai ainsi pour qu’il ne pût ni parler, ni se rétracter. Après la mort, son cadavre devint noir comme un crapaud. »
Ces discours et la vue de l’horrible supplice de Cutwolfe, font rentrer Jack Wilton en lui-même. Il regrette sa vie déréglée, épouse sa Vénitienne, retourne à l’armée du roi d’Angleterre occupé à faire grand accueil à François Ier au Camp du drap d’or, et là se termine la carrière la plus complète qui ait été fournie en Angleterre, avant Defoe, par un personnage de roman.
Nash indiquait la bonne voie, celle qui devait conduire au véritable roman. Il reste incohérent et incomplet ; les diverses parties de son œuvre sont mal jointoyées ; c’est un peu le défaut du genre picaresque lui-même. Mais, le premier, parmi ses compatriotes, il s’applique et réussit à conter en prose une histoire de longue haleine en ayant pour principal souci : la vérité. Il laisse à ses personnages réels, à Surrey, More, Érasme, l’Arétin, leur caractère historique, et il donne à ses personnages fictifs des travers et des qualités qui en font des êtres distincts et vivans, pareils à ceux de la vie commune. plus de bergers langoureux avec lui, plus de déguisemens romantiques, plus de prétendus guerriers dont le casque laisse passer, comme dans l’Arioste, les boucles d’une blonde chevelure de femme. Son style est simple, vif, accommodé aux circonstances, dépouillé des fleurs de langage si recherchées de son temps ; personne, sauf Ben Jonson, n’eut autant que lui, à cette époque, l’amour de la franche vérité. Avec Nash commence donc le roman de la vie réelle, dont on attribue habituellement en Angleterre l’invention à Defoe. Pour rattacher celui-ci au passé de la littérature anglaise, il faut franchir tout le XVIIe siècle et venir retrouver Jack Wilton, le digne frère des Roxana, des Moll Flanders et des Capitaine Jacques.
Le XVIIe siècle, en effet, ne produit presque pas de romans originaux ; il n’ajoute à peu près rien à cette littérature, qui subit après l’époque de Shakspeare, un temps d’arrêt pour ne pas dire de décadence. La tradition de Nash se perd et l’on s’écarte même de celle de Sidney ; c’est pour l’Angleterre un siècle d’asservissement littéraire ; sous Élisabeth, on suivait les modes étrangères, mais librement, en les arrangeant d’après le goût national ; sous les derniers Stuarts on leur est assujetti. La masse des romans lus à Londres à cette époque