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Ces neuf héros étaient, comme on sait, trois païens, Hector, Alexandre, César; trois juifs, Josué, David et Judas Machabée ; trois chrétiens, Arthur, Charlemagne et Godefroy de Bouillon. Enfin Caxton trouve que son entreprise est justifiée par les grandes leçons qui se dégagent de l’exemple d’Arthur : « Conformément au manuscrit, écrit-il, j’ai mis en imprimé ces histoires, afin que les gentilshommes puissent voir et apprendre les nobles faits de chevalerie, les actes vertueux et courtois dont certains chevaliers de ce temps étaient coutumiers, par lesquels actes ils acquirent de l’honneur. On verra, en revanche, comment les chevaliers pervers étaient châtiés et honnis. Et je supplie humblement tous les nobles seigneurs et dames et tous autres, quels que soient leurs rang et situation, qui verront et liront ce livre, de graver dans leur mémoire les bonnes et honnêtes actions pour les imiter... Ils y pourront apercevoir de grands exemples de chevalerie, courtoisie, humanité, amitié, valeur, amour, affection, couardise, vengeance, haine, vertu et péché. Imitez le bien et laissez le mal ; vous y gagnerez une bonne réputation. »

Il y a de tout, en effet, dans le livre de Malory, de tout, excepté de ces traits de caractères qui transforment les personnages, de types incertains en individus vivans; excepté de ces analyses des sentimens qui sont aujourd’hui pour nous la vraie raison d’être et forment presque tout l’intérêt des romans. Le livre du vieux chevalier est une vaste compilation dans laquelle ont été fondus et reliés ensemble une multitude de récits sur Arthur, Lancelot, Gauvain, Galahad, Percival et toute la Table-Ronde. Une infinie quantité de petits chapitres, écrits d’un style clair et tranquille, sans autre charme que sa naïveté, retracent les amours et les batailles de ces personnages fameux. Jamais Malory ne fait d’effort pour atteindre le haut style; il n’imagine pas qu’il puisse y avoir d’autre manière d’écrire que de mettre sur le papier et sans préparation ce qui vient à l’esprit. Comme il n’est pas doué d’un tempérament fougueux ni d’une imagination vagabonde, c’est sans la moindre émotion qu’il raconte les événemens les plus considérables de ses histoires, et jusqu’à la disparition de son héros, emmené par les fées dans l’île d’Avalon. Aux âmes sensibles de pleurer ces malheurs s’il leur convient. Pour lui, il va son chemin, contant toujours, contant inexorablement, de sa même voix claire et sans inflexions, aussi éloigné que possible de nous faire des confidences et de nous ouvrir son cœur.

Une seule fois, dans tout le cours de son vaste ouvrage, il lui arrive de donner, sur une question d’importance, son opinion personnelle : c’est au vingt-cinquième chapitre de son dix-huitième livre. Le chapitre est intitulé : « Comment le vrai amour ressemble