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très haut dans le passé, presque au déluge : c’est le procédé de beaucoup de romanciers ; que leur exemple nous serve d’excuse.


I.

On a fait de très savantes recherches sur les origines du drame ; jamais les origines du roman n’ont tenté les archéologues littéraires. Le roman a longtemps passé pour un genre secondaire ; jusqu’à notre époque même les critiques se faisaient scrupule d’en parler. Arrivant à Richardson, dans ses cours sur le XVIIIe siècle, M. Villemain éprouvait encore quelque embarras, et ce n’était pas sans précautions oratoires, et une appréhension particulière ressemblant à de la pudeur, qu’il osait annoncer des leçons sur Clarisse et sur Grandison. Il ne lui fallait pas une moins bonne justification que la nécessité de rechercher la trace d’une influence spéciale venue d’Angleterre, « celle de l’imagination jointe à la morale dans une prose éloquente. » Cet oubli, il est vrai, pourrait s’expliquer par une meilleure raison encore : si l’on peut fixer, dans le cours des siècles, l’époque où le drame a commencé, il n’en est pas de même du roman ; aussi loin qu’on remonte, on trouve ses ramifications ténues, et l’on peut dire, à la lettre, que c’est un genre vieux comme le monde. L’enfance du monde, en effet, comme celle des hommes, n’a-t-elle pas été bercée par des contes et des récits? Les uns étaient franchement merveilleux ; les autres ont été appelés historiques, mais bien souvent, malgré la dignité de leur nom, les « histoires » n’étaient rien que des recueils de traditions, de légendes, de fictions, une manière de romans. Cette haute antiquité eût pu sans doute être invoquée comme excuse supplémentaire devant l’auditoire de M. Villemain et confirmer les raisons tirées de la « morale » et de « l’éloquence » des romans, raisons qui avaient chance de restreindre un peu le sujet.

En Angleterre, autant et même plus que chez aucun peuple moderne, les romanciers peuvent s’enorgueillir d’une longue suite d’aïeux. Ils peuvent, sans abuser des licences permises aux généalogistes, remonter jusqu’au temps où les Anglais n’habitaient pas l’Angleterre, où Londres était peuplé, comme Paris, par des Celtes latinisés, où les ancêtres des puritains sacrifiaient au dieu Thor, et montrer, en un mot, que leur histoire se perd dans la nuit des temps. Ils peuvent rappeler que les Anglo-Saxons, lorsqu’ils vinrent habiter l’île de Bretagne, apportèrent avec eux des chants et des légendes d’où est sorti l’étrange poème de Beowulf; la première épopée, la plus ancienne histoire et le plus vieux roman d’Angleterre. La vérité s’y mêle à la fiction ; à côté des exploits fabuleux du héros