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Comptoir d’escompte de Paris. — La ligne de l’Adriatique aurait un caractère international moins exclusif. Pouvant partir d’un point extrême du Péloponèse, traverser cette presqu’île et gagner Arta et Jannina, elle viendrait aboutir en face de Brindisi et ne laisserait plus entre Paris et Athènes que quatre ou cinq heures de mer ; elle servirait à toute l’Italie et à la France et abrégerait la route des Indes de plus de vingt heures, grand bénéfice pour l’Angleterre. En outre, un bras qui suivrait l’Adriatique atteindrait les chemins de fer autrichiens vers Cattaro. — Telles sont les deux et seules voies par lesquelles la Grèce pourra s’unir effectivement au reste de l’Europe : mais cela même à cette condition, que les véhicules européens puissent circuler sur ces voies, construites d’après le modèle de nos grands chemins de fer et non sur celui des tramways.

Je n’entrerai pas dans plus de détails sur ces voies de communication, dont le réseau s’exécute en ce moment. Il faut seulement rassurer ceux qui craignent de voir la Grèce perdre le prestige de ses souvenirs. L’épreuve a-t-elle été défavorable à l’Italie, à l’Egypte, à l’Inde; les lieux et les antiquités sont-ils moins intéressans parce qu’on s’y transporte en quelques heures et facilement au lieu de dépenser pour les atteindre beaucoup de temps et beaucoup de fatigue? Que peut faire contre le pittoresque un ruban de quelques mètres, qui se perd à tout instant sous les arbres, dans les ravins et sous des voûtes ténébreuses? Nous mettions au moins une semaine pour aller d’Athènes à Sparte; chacun de nous avait son cheval de selle et nous étions suivis d’autant de chevaux de bagage, conduits par des hommes à pied et chargés de lits, de batterie de cuisine, avec un cuisinier et un guide. Par ces chemins de fer, même tels qu’ils sont, nous eussions fait la même route en huit heures, libres de cet attirail qu’on traîne avec soi en pays vierge. L’aspect imposant du Taygète et les lauriers roses de l’Eurotas n’y eussent rien perdu. D’ailleurs il faut que la civilisation marche et que l’homme prenne possession de sa planète avec ou sans ses vieux souvenirs.

Nous ne pouvons donc que féliciter les Hélènes de ne pas trop regretter les trirèmes de leurs ancêtres et de les avoir remplacées par de grands et beaux navires à vapeur. Quand je quittai Athènes, il y a dix ou onze ans, il n’y avait en Grèce qu’une compagnie de bateaux à vapeur ; ces bateaux étaient assez nombreux, mais petits et pauvrement aménagés; ils marchaient sûrement, mais lentement, allaient d’île en île et de port en port comme des caboteurs. C’était sur mer à peu près ce que sont sur terre les petits chemins de fer de l’Attique et de Corinthe. Mais, en Grèce, la navigation aura toujours de l’avance