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de peu de valeur : en bâtissant, ils en ont fait monter les prix. Quand l’état grec donna à la France le terrain sur lequel l’École française fut élevée, le sol pouvait bien valoir 2 francs le mètre ; on ne l’aurait pas aujourd’hui pour 40 ; la ville s’est portée de ce côté sur la pente du mont Lycabette jusqu’au bois de plus aux épais ombrages, qui alors venait d’être semé. Beaucoup de fortunes dans Athènes n’ont pas d’autre origine que la plus-value des terrains et des loyers. Elle a été d’autant plus sensible que, par suite de la reconstitution de la richesse privée et du retour des Hellènes du dehors, le luxe s’est attaché aux constructions nouvelles: on a eu besoin d’architectes là où trente ans plus tôt on se serait contenté d’un maçon. La vie intérieure a dû marcher de pair avec l’art de bâtir: ces petits palais se sont garnis de beaux meubles et d’objets de luxe, achetés d’abord à l’étranger, puis fabriqués dans le pays. La Grèce n’a pas fait mauvaise figure à l’exposition de 1878 ; mais on verra mieux dans deux ans les progrès qu’elle aura accomplis.

On dira : « Ce n’est que le vernis de la civilisation. » C’est ce que nous verrons dans la suite de cette étude. Constatons seulement que ce vernis s’étend peu à peu des classes riches aux classes pauvres et que toute la société grecque se transfigure dans le même sens. Car je n’ai parlé que d’Athènes et du Pirée; mais le même mouvement se produit dans toutes les autres villes, à Syra, à Patras, à Nauplie, à Chalcis, partout où les fortunes privées se reconstituent et où pénètre l’influence occidentale. Cette influence est surtout française. Sous Capo d’Istria, la Grèce eût pu tourner au russe. La régence bavaroise et le règne d’Othon l’ont bien menacée de la germaniser ; l’influence allemande n’a pas dépassé l’université athénienne, dont la forme s’est modelée sur celle des établissemens analogues de l’Allemagne. L’esprit grec a fort heureusement des tendances, des aptitudes et des besoins qui le portent vers l’esprit français. Aussi, dans la vie privée comme dans la vie publique, c’est du goût français que les Hellènes se rapprochent et non du goût allemand ou anglais. Voici un fait dont j’ai été témoin : pendant la guerre de 1870, la France, envahie par les Prussiens, ne fournissait plus au commerce grec ses approvisionnemens ordinaires; c’est l’Allemagne qui remplissait les magasins athéniens de ses produits, de ses étoffes, de ses meubles, de ses objets de luxe, de ses parures de femme. On maugréait dans Athènes, mais on se soumettait à la nécessité. A peine la paix fut-elle signée et le commerce redevenu libre que les Grecs revinrent aux objets français; les produits allemands furent vendus au rabais ou restèrent dans les magasins. On peut dire d’une manière générale que la vie des Hellènes s’aménage de plus en plus dans le goût français et que les villes grecques deviennent chaque année plus semblables à des villes françaises.