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de guerre se retrouvait sans défaillance. « Le maréchal, a dit Duvivier, leva le siège avec la même sérénité de visage que s’il sortait de chez lui pour se promener; il fut admirable dans toute la retraite. » L’attitude du duc de Nemours ne fut pas moins digne et, dans ce moment de crise, d’un excellent exemple. Pendant ces trois jours, longs comme des années, qu’il venait de passer devant Constantine, sa conduite avait été parfaite; il était venu plusieurs fois au Coudiat-Aty ; il s’était porté sans affectation jusqu’à l’extrême ligne des tirailleurs dans le plus vif du feu, et y avait été, suivant un mot heureux de Duvivier, « comme il y devait être, comme un homme qui ne s’en aperçoit pas. » Tout le monde n’avait pas le sang-froid du maréchal Clauzel et du duc de Nemours. Les corps se hâtaient de quitter le plateau avec des formations de marche très différentes ; l’ordre assigné par l’état-major n’était pas observé ; lorsqu’un aide-de-camp du maréchal essaya d’arrêter le 63e, qui devait faire l’arrière-garde, le colonel lui répondit : « j’ai toute l’Arabie sur les bras, » et passa outre. Il est vrai que de Bab-ul-Kantara, comme des portes voisines du Coudiat-Aty, les défenseurs triomphans de Constantine étaient sortis en foule, et que dans l’angle formé par le confluent du Roummel et du Bou-Merzoug une grosse masse de cavalerie s’apprêtait à fondre sur la colonne française.

D’un mamelon, où il avait fait halte après avoir passé la rivière, le commandant Changarnier, qui avait été rejoint par sa compagnie de carabiniers, observait la situation. Le bataillon d’Afrique avait rejoint les troupes en marche; le 2e léger restait seul. Par un mouvement court et rapide, le commandant refoula de l’autre côté du Roummel les groupes ennemis qui l’avaient passé à sa suite et les contraignit à chercher un autre gué, puis, pendant ce moment de répit, il prit position en arrière d’un pli de terrain d’où il ouvrit sur les bandes qui descendaient du Mansoura un feu de deux rangs dont l’effet imprévu les arrêta court. En rétrogradant de proche en proche, il était arrivé au-dessous de Sidi-Mabrouk. « Commandant, lui cria le chef d’état-major général, qui passait rapidement escorté d’une trentaine de chasseurs d’Afrique, c’est vous qui couvrez la retraite. — Je m’en aperçois bien, » répliqua Changarnier d’un ton de bonne humeur. La réplique fit rire ses hommes et rehaussa leur confiance. Elle allait tout de suite être mise à l’épreuve. La cavalerie arabe avait passé le Bou-Merzoug et s’avançait avec de grands gestes et de grands cris. Arrivée à distance de charge, elle s’arrêta; les goums s’alignèrent, les étendards passèrent au premier rang, et les chefs galopèrent sur le front en donnant des ordres, puis la masse s’ébranla de nouveau. Au signal du clairon, les tirailleurs du 2e léger rentrèrent dans le rang, puis le chef de bataillon commanda : « Formez le carré! » Le carré fut-il formé