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capitaine Grand, réclamaient à grands cris les haches ; on ne les retrouva pas davantage. Dix minutes se passèrent ainsi; le capitaine Grand, le commandant Richepance, étaient blessés mortellement; de quinze officiers du bataillon d’Afrique, cinq étaient atteints; Duvivier ordonna la retraite. Les mulets de l’artillerie avaient été tués ; le lieutenant Bertrand et ce qu’il y avait encore de canonniers furent obligés de s’atteler aux pièces. A la hauteur de la mosquée, les hommes se rallièrent; les plus courageux se dévouèrent à la recherche des camarades qui manquaient; quand on crut les avoir ramenés ou relevés tous, on reprit lentement le chemin du bivouac, et, dès qu’on fut arrivé, on se compta : il y avait trente-trois morts et près de cent blessés.


V.

Au marabout, qui servait d’ambulance, l’intérieur du petit monument, la galerie à jour qui l’entourait, la cour même, tout était encombré, jonché de corps sanglans ; les chirurgiens, malgré tout leur zèle, ne pouvaient suffire à tous ces malheureux qui les appelaient. Entre trois et quatre heures du matin, le docteur Bonnafont, chirurgien-major de l’ambulance, venait d’achever une amputation, lorsque l’aide-de-camp du général accourut l’avertir qu’il fallait se préparer au départ; l’ordre de retraite arrivait du Mansoura à l’instant même. Sur la réclamation du chirurgien, dont tous les moyens de transport se réduisaient à vingt-quatre places de cacolet ou de brancard, le général donna l’ordre de mettre à sa disposition les chevaux des chasseurs et autant d’hommes d’infanterie qu’il en faudrait pour porter sur des couvertures les blessés plus grièvement atteints. La longue colonne de douleur commença de descendre au Roummel. Il y avait déjà longtemps qu’elle défilait, le jour commençait à poindre, et des coups de fusil se faisaient entendre. Quatre malheureux, les derniers, gisaient encore à l’ambulance; tout à coup Duvivier parut, et, s’adressant aux chirurgiens, leur donna l’ordre de partir au plus vite : les Kabyles étaient sur ses pas, il n’y avait plus moyen de les contenir. « Et ces blessés? lui demanda-t-on. — Je ne réponds plus de vous. » Ce fut sa seule réponse; il courut à sa troupe, les chirurgiens se jetèrent sur leurs chevaux, et les quatre blessés demeurèrent. Dix secondes après, arrivaient les Kabyles.

A cinq heures du matin, le général de Rigny avait réuni les chefs de corps et leur avait donné ses ordres: la brigade devait repasser le Roummel avant le jour et faire sa jonction avec la colonne descendue du Mansoura ; le 2e léger était chargé de couvrir la retraite. Le général partit le premier avec le 17e léger, les chasseurs d’Afrique