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préoccupé personnellement de recueillir des griefs contre l’administration du maréchal. Celui-ci écrivait à un ami, le 16 septembre : « Si le gouvernement nouveau ne fait pas pour moi ce que m’a promis l’ancien, je me fais laboureur dans ma ferme de l’Agha. Baude instrumente contre moi. La chambre veut, la chambre ordonne, la chambre entend que, etc. Le roi n’est rien, il n’y a que la chambre. »

A Paris, le commandant de Rancé soutenait énergiquement la cause de son chef; il s’avança même jusqu’à laisser entendre que, si le gouverneur n’obtenait pas l’exécution des promesses qui lui avaient été faites, il quitterait la place à d’autres. Autorisée ou non, la menace était imprudente ; le ministère, qui n’aurait pas osé rappeler le maréchal, saisit la balle au bond et fit partir pour Alger le général de Damrémont avec les pouvoirs nécessaires pour recevoir la démission du gouverneur et le remplacer. Dans ce même temps, le ministre de la guerre donnait aux troisièmes bataillons des régimens employés en Algérie l’ordre de rejoindre leurs corps. Avec la finesse d’un homme du Midi, le maréchal Clauzel, relevant de son côté la balle, s’empara de cet ordre comme d’un commencement de satisfaction, et, quand le général de Damrémont arriva, il lui fît très bon accueil, puis reconduisit presque aussitôt avec force politesses en lui disant qu’il n’avait jamais eu la pensée de mettre le marché à la main au gouvernement et que, s’il regrettait de n’avoir pas tout ce qu’il aurait souhaité, il n’en essaierait pas moins de se tirer d’affaire.

On était au mois d’octobre ; le temps pressait. Une partie des troupes qui devaient concourir à l’expédition de Constantine étaient encore en opération dans les provinces d’Alger et d’Oran. Dans la première, sur les instances du colonel Lemercier, directeur des fortifications, la construction du camp de la Chiffa avait été reprise et achevée, non sans coups de fusil, mais on n’y avait pas laissé de garnison. Dans la province d’Oran, le général de Létang avait essayé de refaire la belle campagne du général Perregaux. Ancien colonel du 2e régiment de chasseurs d’Afrique, bon officier de cavalerie, connaissant bien le pays, ce qui lui manquait, c’était l’art de conduire les troupes de pied. Déjà, au mois d’août, pendant les fortes chaleurs, il leur avait imposé de cruelles fatigues. Au mois d’octobre, il les avait fait sortir de nouveau, s’était porté sur l’Habra, puis avait tenté de gagner la vallée du Chélif ; mais Abd-el-Kader, qui manoeuvrait mieux que lui, s’était mis en travers de sa route, de sorte que la colonne française, à bout de vivres et de forces, avait été contrainte de rentrer à Mostaganem après quinze jours de marches et de contremarches inutiles. Là, le général de Létang avait trouvé des ordres du maréchal, qui lui proscrivait d’envoyer sans retard à Bône les corps désignés pour l’expédition de Constantine.