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qu’ils en trouvaient, quant à eux, l’application injuste, car, disaient-ils, quand j’ai quitté le tribunal du cadi, qui m’a puni, je rentre dans ma famille ; je peux cultiver mon champ et donner du pain à mes enfans, tandis que, toi, tu m’arrêtes avant de me juger, tu me retiens après m’avoir jugé, et, pendant que je languis dans l’ombre, mangeant ton pain dans la prison, ma femme et mes enfans n’en ont pas. Voilà la logique des Arabes. S’il m’avait été permis de considérer les peines dans leurs rapports avec ceux qui doivent les subir, j’aurais dû faire droit à leurs réclamations et les renvoyer au cadi. »

Du menu détail où elle était descendue, la discussion se releva et reprit son ampleur avec M. Guizot. Il appuya les demandes du gouvernement, il combattit, comme M. Thiers, l’occupation restreinte; mais en recommandant une politique prudente, lente, pacifique, ne faisant la guerre qu’en cas d’absolue nécessité, il signala le danger d’une politique différente, agitée, guerroyante, jalouse d’aller vite, d’aller loin, d’étendre brusquement, par la ruse ou par la force, la domination française sur tout le territoire de l’ancienne régence : « Il faut, ajouta-t-il, que la chambre soutienne et contienne; il faut qu’elle soit très large et très ferme en même temps. Il n’y a encore aucun parti fâcheux irrévocablement pris, aucune faute décisive; mais nous sommes sur une périlleuse pente ; nous pourrions y être entraînés. » M. Thiers, que cette comparaison des deux politiques mettait évidemment en cause, protesta contre avec vivacité : « Si c’est, répliqua-t-il, le système de la guerre qu’on appelle le système inquiet et agité, il n’est pas l’ouvrage du nouveau cabinet, il est l’ouvrage des circonstances antérieures, forcées, fatales en quelque sorte. » Système pour système, l’on n’agréait guère plus à la commission que l’autre : aucune des réductions qu’elle proposait ne fut adoptée; la chambre lui donna tort sur tous les points ; ce fut une déroute. La discussion aurait-elle pris un autre tour si le général Bugeaud, qui guerroyait alors en Afrique, y avait pris part? La majorité aurait hésité peut-être, mais elle eût cédé sans aucun doute à l’ascendant de M. Thiers. Quant au maréchal Clauzel, ce fut à peine s’il intervint dans le débat ; qu’aurait-il pu dire après ce qu’avait dit avec plus de force et d’autorité le président du conseil? Il vit M. Thiers ; il acheva dans ses conversations de le persuader et de le convaincre ; il eut raison par lui de la froideur et des objections du ministre de la guerre.

Comme il voulait, en s’engageant à l’est contre le bey de Constantine, être libre de toute inquiétude à l’ouest du côté d’Oran, il obtint l’envoi d’une mission moitié politique, moitié militaire, au Maroc pour menacer le sultan-chérif de la colère de la France s’il favorisait directement ou indirectement, de quelque façon que ce