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la crise ministérielle, ne s’est pas laissé tenter; il a résisté aux séductions du pouvoir dans des conditions si peu précises et, on pourrait dire, si équivoques. Lord Hartington est un homme d’une droiture simple, d’une correction presque méticuleuse, qui, en se séparant de M. Gladstone, est resté un vieux libéral, un vieux whig, fidèle aux traditions de parti et ne veut pas aller se confondre dans un torysme d’une nouvelle espèce. Il a visiblement tenu à garder l’indépendance de sa position personnelle, tout en continuant d’ailleurs à assurer son appui, son alliance au ministère dans les affaires d’Irlande et en engageant même ses amis à faire ce qu’il ne fait pas, à entrer dans le gouvernement. Lord Salisbury, sans se décourager, s’est adressé à d’autres libéraux, au marquis de Lansdowne, gouverneur du Canada, à lord Northbrook, qui ont refusé à leur tour une place dans le ministère. Il a été plus heureux avec M. Goschen, qui a accepté d’être chancelier de l’échiquier, et qui, par ses talens, par son expérience, est certes mieux fait que lord Randolph Churchill pour conduire les finances de l’Angleterre. Seulement M. Goschen est un ancien libéral dissident depuis longtemps, qui est assez isolé entre les partis, qui ne représente que lui-même, et, de plus, il a été vaincu aux élections dernières; il a son siège à reconquérir au parlement, il l’aura vraisemblablement à Liverpool, où il est candidat aujourd’hui, il ne l’a pas encore. Le nouveau chancelier de l’échiquier est le libéral du ministère remanié et, pour ne pas trop mécontenter les conservateurs, on a donné la moitié de l’héritage de lord Randolph Churchill, la direction de la Chambre des communes, à M. Smith, ministre de la guerre, qui, du même coup, devient premier lord de la trésorerie. Lord Salisbury, pour sa part, cède le premier poste traditionnel ; il passe au foreign office, à la place de lord Iddesleigh, l’ancien leader conservateur sous le nom de sir Stafford Northcote, qui vient justement de s’éteindre au lendemain du jour où il avait cru devoir quitter les affaires.

Voilà bien des changemens et des déplacemens ! c’est encore le même ministère, si l’on veut, et ce n’est plus le même ministère. La question est de savoir si le cabinet, ainsi remanié et recomposé, sort fortifié de cette crise, ou si toutes ces laborieuses métamorphoses ne le laissent pas au contraire dans des conditions plus incertaines et plus affaiblies. Il a sans doute conquis chemin faisant un homme supérieur, un orateur habile, M. Goschen, qui est fait pour être la force d’une administration, et par M. Goschen, il s’est mieux assuré l’appui persévérant des amis de lord Hartington. La situation ne reste pas moins singulièrement difficile et critique pour le ministère Salisbury-Goschen, qui peut se trouver à l’improviste exposé de toutes parts, abandonné ou mollement soutenu par les uns, menacé et assailli par les autres. D’un côté, lord Randolph Churchill, avec son tempérament agitateur, avec son ambition de régénérer le torysme, n’est pas homme