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ne rien déguiser et à ne rien compromettre, à ne pas prononcer un mot qui puisse être menaçant ou offensant pour la France, et à démontrer comment, dans l’intérêt même de la paix, l’Allemagne doit se hérisser d’armemens pour se défendre contre une attaque imprévue, qu’il n’appelle pas, dont il envisagé avec sang-froid les redoutables chances.

Cet étrange et puissant esprit est aussi habile qu’audacieux, et, dans son rôle d’adversaire jaloux de préserver sa victoire. Il sait même garder une sorte d’impartialité supérieure. Dans tout ce qu’il fait, c’est évident, il n’a en vue que la France. Ce n’est pas, cependant, qu’il accuse la France, qu’il se laisse aller à des jugemens trop acerbes ou à de vulgaires déclamations contre elle, qu’il lui suppose des intentions systématiquement agressives. Il croit plutôt aux sentimens pacifiques de la masse de la nation française. Il est persuadé que les ministères qui se succèdent sont favorables à la paix, que le président du conseil d’aujourd’hui désire la maintenir comme ses prédécesseurs M. de Freycinet ou M. Jules Ferry. Lui non plus, dans les rapports des gouvernemens, dans les relations des deux pays, il ne voit rien qui puisse justifier des craintes sérieuses. Oui, c’est ainsi ; mais il paraît que, dans l’esprit du chancelier, la France n’est pas une nation comme les autres, qu’elle veut la paix aujourd’hui et qu’elle peut vouloir la guerre demain, qu’une minorité violente peut toujours dominer et entraîner le gouvernement, les pouvoirs publics. Qui prédirait ce qui peut arriver dans dix jours comme dans dix ans? quelle politique un ministère imprévu peut porter au pouvoir? L’Allemagne n’attaquera jamais la France, le chancelier l’assure; mais la France, surprise ou entraînée, peut attaquer l’Allemagne, — et voilà pourquoi il faut se hâter de voter le septennat militaire, voilà pourquoi l’Allemagne doit se tenir toujours sous les armes ! Et si on objecte au chancelier qu’il propose des mesures extrêmes et onéreuses pour faire face à des dangers peut-être chimériques, il se met aussitôt à dérouler devant les esprits allemands le tableau de ce qui arriverait si la France, nation puissante et brave, venait à être victorieuse; il représente les Français comme déjà conquérans en pleine Allemagne, rançonnant les populations, campant à Berlin, disposant du Hanovre, — et même de la Pologne! — c’est peut-être aller un peu vite et forcer un peu les couleurs pour la circonstance. Maintenant qu’arrivera-t-il? Que le septennat soit voté ou qu’il ne soit pas voté, c’est surtout une affaire entre M. de Bismarck et son parlement; mais ce qu’il faut d’abord dégager des discours du chancelier, c’est que l’Allemagne ne veut pas attaquer la France, — et comme la France, quoi qu’on en dise à Berlin, n’est pas disposée à aller chercher l’Allemagne chez elle, il y a encore place pour la paix.

On pourrait se demander ce que veut l’Angleterre, ce qu’elle poursuit