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Il est assez vraisemblable qu’il n’y a rien de sensiblement changé dans la situation générale ou dans les grandes alliances, st que s’il y a eu des mouvemens diplomatiques, ils ont eu pour objet d’atténuer les conséquences ou les contre-coups des affaires orientales, non de précipiter dans l’Occident des événemens que personne ne désire. On peut, sans doute, ne se fier qu’à demi aux déclarations officielles, aux discours de cérémonie ou aux harangues du jour de l’an, qui dans tous les cas se bornent le plus souvent à des assurances vagues et n’ont rien de décisif. Il y a un homme dont le témoignage a une bien autre importance et est toujours attendu, qui a le privilège d’éclaircir les situations confuses : c’est le chancelier de Berlin, c’est M. de Bismarck ! Celui-là ne parle que rarement, mais il ne parle pas pour rien. Il ne dit sûrement que ce qu’il veut dire, il le dit avec cette apparence de franchise superbe qui est aussi une habileté, sans craindre d’aborder les questions les plus graves ou les plus délicates, sans reculer devant les difficultés. Il était à peu près inévitable qu’il intervînt dans la discussion qui est engagée depuis quelques jours devant le Reichstag sur le septennat militaire, et en intervenant pour arracher au parlement le vote du budget permanent de l’armée, d’une augmentation des forces de l’Allemagne, il ne pouvait se dispenser de justifier ses propositions par un exposé de l’état de l’Europe. Il est entré aussitôt, selon sa coutume, dans le vif des choses, allant droit aux points essentiels, au rôle et aux rapports de l’Allemagne, à sa position surtout vis-à-vis de la France, aux périls dont ne la défend pas sa grandeur. Qu’en faut-il conclure à l’heure où nous sommes, dans l’ordre des préoccupations présentes de l’Europe?

Il y a deux parties dans le discours ou dans les discours par lesquels M. de Bismarck vient de signaler sa réapparition sur la scène parlementaire. Il y a une partie, et ce n’est peut-être pas la plus claire, où le terrible chancelier s’évertue à expliquer la position de l’Allemagne entre les deux autres puissances impériales dont elle est l’alliée, A l’en croire, rien n’est changé; l’alliance des trois empires n’a jamais été en doute, elle subsiste aujourd’hui, et s’il s’est rapproché récemment de la Russie dans une question où l’Allemagne n’a aucun intérêt, il n’a signé aucun pacte nouveau ou particulier, il ne s’est nullement séparé de l’Autriche. Au fond évidemment, M. de Bismarck, par sa diplomatie depuis quelques mois, met tout en œuvre pour rester un médiateur efficace entre ses deux alliés dans les affaires d’Orient, et, sans abandonner l’Autriche, il tient surtout à satisfaire la Russie, à la retenir dans son alliance pour garder la disposition de ses forces dans l’Occident. L’autre partie des discours du chancelier, la plus importante, la seule importante sans doute dans sa pensée, la plus décisive dans tous les cas, est celle qui a trait à la France, et ici, il faut l’avouer, M. de Bismarck est un tacticien de première force. Il met un art singulier à