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parce que quelques augures se sont rencontrés et ont lié conversation à l’Elysée? Que le ministère qui existe aujourd’hui soit faible, toujours menacé, c’est bien évident. Quel secret ont les augures pour remédier à cette situation? Quelle force de plus M. de Freycinet et M. Jules Ferry porteraient-ils au gouvernement? Ils ont été ensemble au pouvoir, ils y ont été séparément. Ils ont eu le sort commun; ils sont tombés, ils ont disparu comme peut disparaître à son tour M. Goblet, par les mêmes causes, par la même faiblesse, parce que les uns et les autres ont l’étrange prétention de faire un gouvernement en dehors de toutes les conditions sérieuses de gouvernement. Aujourd’hui encore, quelle est l’idée fixe au camp des républicains, même de ceux qui se disent modérés? Le mot d’ordre est qu’il ne faut rien faire qu’entre républicains, qu’il faut surtout se garder de toute alliance avec les conservateurs. — Ces conservateurs qu’on veut exclure, cependant ils représentent plus de trois millions de voix, près de la moitié du pays. Ce qu’on prétend donc encore, c’est perpétuer un règne de parti obstiné à ne tenir compte ni des vœux, ni des sentimens, ni des intérêts d’une partie considérable du pays. S’il y a pourtant une politique sérieuse, utile, c’est celle qui rallierait toutes les forces modérées, et c’est parce qu’on méconnaît cette politique qu’on ne fait rien, qu’on ne fait pas surtout un gouvernement. On se condamne à vivre avec des pouvoirs précaires qui livrent à toutes les influences anarchiques les intérêts moraux du pays et qui, à tout instant, même avec de la bonne volonté, risquent de ne pas suffire à la protection des intérêts extérieurs de la France.

Il faut bien s’y résigner, les affaires de l’Europe passent en tout temps, mais surtout au temps où nous vivons, par d’étranges alternatives selon les incidens qui se produisent, selon les influences qui règnent et le vent qui souffle. Un jour tout est à la paix, pour laquelle conspirent tous les intérêts des peuples et même la raison des gouvernemens; un autre jour une vague inquiétude se répand tout à coup sans qu’on sache toujours pourquoi. Que faut-il le plus souvent? La moindre circonstance suffit pour mettre les esprits en campagne, pour raviver le sentiment d’une situation où l’instabilité des relations est l’éternel péril, où tout peut devenir occasion de conflits.

Assurément les affaires de la Bulgarie n’étaient pas par elles-mêmes au premier abord de celles qui paraissent destinées à agiter le monde. Elles ont eu cependant cela de grave qu’elles ont mis en jeu toutes les susceptibilités de la politique russe, qu’en provoquant l’intervention de la Russie, elles ont appelé l’attention inquiète des politiques également intéressées à tout ce qui se passe en Orient, et elles ont fini par réveiller bien d’autres questions plus périlleuses. Le jour où l’on s’est aperçu que cela menaçait d’aller trop loin, on s’est arrêté.