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N’y a-t-il pas des femmes qui aiment à être battues, au moins par une certaine main? Au moral, ce serait le cas de cette jeune fille. Elle reculerait, pourtant, lorsque son vainqueur voudrait tout de bon la saisir. Et lui, après une feinte retraite, s’animant au jeu, se rapprocherait de sa proie, ferait patte de velours et soudain, d’un coup de griffe, abattrait la victime. A demi séduite, à demi violée, entièrement perdue, elle repousserait avec horreur l’offre d’une vie de luxe et de vanités; ce qu’elle eût espéré, l’amour de cet homme consacré par son nom, il le lui refuserait. Il ne prendrait au sérieux ni ses exigences ni sa douleur; et si, un moment, il était tenté d’y croire, il en conclurait seulement : « Elle doit être une maîtresse moins agréable que je n’avais supposé. » Ayant renoncé au bonheur, elle penserait revenir à l’honneur et trouver une expiation en épousant un autre homme, un homme qu’elle n’aimerait pas : une austère existence, toute dévouée au devoir, c’est le nouveau roman qu’elle s’imaginerait. Mais ce beau sophisme de sa conscience ne tiendrait pas contre l’explosion inattendue de la passion de cet époux : le cri de son indignité s’échapperait de ses lèvres. Chassée alors, rejetée du devoir comme de l’amour, elle se rabattrait sur le plaisir : elle irait le demander à celui qui tout à l’heure ne lui offrait que cela. Mais le plaisir n’a qu’un temps, et ce temps est bref, plus que partout ailleurs, où les seuls apports sont la brutalité de l’homme et le désenchantement de la femme. Maltraitée, repentante, l’instable créature se retournerait bientôt vers son mari, — bientôt, mais trop tard, si celui-ci l’avait aimée à en mourir !

Oui, ce caractère d’homme, ce caractère de femme, peuvent exister; et ces façons d’agir seront les leurs; et cette jeune fille, en ses oraisons de vierge folle, aura les élancemens lyriques d’Emma Bovary à l’âge où elle se nourrissait de romans ; et ce Camors de caserne la cinglera de mots cyniques, aussi résolument qu’il frappera une jeune bête, pour la dresser, d’une lourde cravache de manège. Ces caractères sont rares, compliqués, odieux et, en certaines conjonctures, ridicules; mais ils sont: — un auteur peut-il les transporter sur la scène?

Des exemples nous viennent d’abord à l’esprit : M. Alphonse et le duc de Septmonts ne sont pas des caractères communs, ni simples, ni d’une beauté recommandable, ni d’une dignité tragique; la femme qui, jeune fille, a cédé à M. Alphonse et a eu de lui un enfant, et qui s’est mariée sans rien dire de cette aventure à son mari, celle-là, pour ne citer qu’elle, n’a même pas eu la loyauté d’Hélène de la Roseraye. Il est vrai que M. Dumas a noyé cette faute dans la nuit du passé : il ne fait connaître au public Raymonde de Montaiglin que purifiée par dix années de vertu, de remords et de cette double torture, supplice d’une femme et supplice d’une mère. Il est vrai que, cet Alphonse, il