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impute à l’auteur fait que ce reproche est un peu suspect. On l’accuse, en effet, d’une absolue contradiction : il aurait interrompu la nature, qu’il laissait parler toute seule, pour faire parler sa pure fantaisie.

Or, le secret de ces vicissitudes, au rebours de ce qu’on a cru d’abord, c’est précisément que M. Becque, dans son œuvre dramatique, ne veut rien mettre du sien. À côté du vrai s’il place l’invraisemblable, c’est que l’invraisemblable était vrai, et qu’il n’a pas consenti à l’orner pour le rendre vraisemblable.

L’an dernier dans une conférence, M. Becque nous expliquait l’École des femmes : « Ah ! s’écriait-il, ne demandez pas à Molière qu’il vous donne cette explication. Molière n’est pas homme à parlementer avec son public. Ce n’est pas lui qui a inventé ce personnage de nos comédies modernes qui est chargé de nous présenter et d’étiqueter tous ses camarades… Il ne connaît ni les petits moyens ni les procédés vulgaires, il jette sur la scène des caractères, et ce sont ces caractères qui s’expliquent eux-mêmes devant nous. » M. Becque assurait que Molière « se borna à prendre des personnages dans le monde » et à les transporter au théâtre, et qu’il néglige ou dédaigne d’éclairer le public sur « l’esprit » et « la direction » de ses ouvrages.

Si ce portrait ressemble exactement à Molière, nous n’avons pas à le dire aujourd’hui ; mais c’est le portrait du peintre. Oui, le voilà bien, ce terrible homme qui refuse de « parlementer avec son public : » — il tire dessus, bien plutôt, sans sommation préalable ; à ses risques et périls ! Tant pis si le public riposte ! Et, non-seulement, il n’use pas du « Desgenais, » de ce commode compère qui passe aujourd’hui tant de revues, non seulement il rejette ce « petit moyen, » mais il se dispense de tous les moyens, petits et grands, pour aller droit à sa fin : entendez que cette fin est la représentation de la vie, et non le succès de cette représentation. Il ne connaît pas « les procédés vulgaires, » ni les autres : par principe, il manque de procédés. Vous en êtes ravi ? C’est bon ! Vous vous en fâchez ? À votre aise ! Ce système, ou plutôt cette absence de système, dont M. Becque fait profession, sous le patronage de Molière, en 1886, déjà en 1870 il en donnait un exemple. Il transportait des caractères, tels quels, du monde sur le théâtre : si les effets de ce sans-gêne étaient heureux ou malheureux, si le vrai paraissait vraisemblable ou invraisemblable, s’il paraît encore l’un ou l’autre après ce délai d’appel, c’est selon chacun de ces caractères.

Il n’est guère possible d’avoir des dessous plus solides que ces deux figures, peintes en pendant l’une de l’autre : le père et la mère de l’héroïne, M. et Mme de la Roseraye. Dès le premier acte, on aperçoit leurs différentes complexions : la femme, en causant avec le vieux baron von der Holweck, et le mari, en répondant à Michel Pauper, se découvrent à nous. Au second, c’est toute l’histoire de leur vie commune