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REVUE DRAMATIQUE

Odéon : Michel Pauper. — Le Lion amoureux.

L’Odéon, en un mois, nous a donné de l’extraordinaire et de l’ordinaire : Michel Pauper et le Lion amoureux.

Qu’un homme du peuple, élevé par son intelligence et par son travail au-dessus de sa condition, devenu inventeur et chef d’usine, épouse une fille du monde ; que celle-ci, avant le mariage, ait appartenu à un gentilhomme ; que, le soir même des noces, une explication éclate et le couple se sépare ; que le mari, rejeté par le chagrin dans l’alcoolisme, expire, après quelques mois, sous les yeux de la femme repentante, rien de tout cela n’est extraordinaire sur le théâtre ; et cette action, pourtant, n’est pas celle du Lion amoureux, mais de Michel Pauper. Si cet ouvrage, un des premiers de M. Becque, n’offrait rien de plus rare que cette suite d’événemens, on s’étonnerait que l’auteur, après plus de seize années, eût mis sa coquetterie à le faire reprendre ; on s’étonnerait même qu’il eût produit naguère une pareille fable, alors qu’il n’était pas tenté par ces exemples de succès, par tel morceau applaudi du Maître de forges, ou du Prince Zilah, ou de l’Assommoir. Aussi bien, pas plus en 1886 qu’en 1870, ce ne serait là un objet d’indignation ni d’enthousiasme : on aurait peine à croire que le public, en l’une et l’autre épreuve, eût été ballotté par des passions si fortes ; qu’hier comme jadis il eût regimbé, ricané, grogné, au deuxième et au troisième acte ; que, dompté au quatrième, il eût acclamé frénétiquement son dompteur ; que, d’un bout à l’autre de la pièce, — tantôt captivé, tantôt défiant, puis révolté, puis repris de main de maître et comme enivré de sa défaite, et, à la fin, attentif même à un spectacle pénible, — il eût gardé le sentiment qu’il écoutait une œuvre peu vulgaire : voilà pourtant ce que nous avons vu, et nous disons que l’instinct du public ne s’est pas trompé.