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musique sincère dont nous parlions plus haut ; musique de cœur qu’on ne peut se défendre d’aimer et que sa cordialité même ferait absoudre de plus d’un reproche.

Au second acte, Dolorès paraît, et en belle phrase d’entrée : «J’ai prié tout le jour, » pourrait bien être la plus colorée de tout son rôle. Le personnage musical de la comtesse de Rysoor a trop peu de relief dans ce second acte, et d’ailleurs elle et Karloo manquent généralement de physionomie. M. Paladilhe, qui parfois ajoute aux situations, ajoute moins aux caractères; sa musique est plus d’action que de sentiment. Essentiellement théâtrale, elle perd à la lecture, parce qu’elle s’est livrée du premier coup. Elle n’a pas de ces eaux profondes où l’on peut toujours descendre ; mais à vrai dire quelques chefs-d’œuvre seuls ont de ces profondeurs infinies. Sauf un bel éclat de Karloo, éperdu de remords et de honte, et une suave cantilène de Dolorès qui vient après, sauf un brillant petit chœur de carnaval, le premier tableau du second acte offre peu d’intérêt, encore moins de nouveauté. Le drame domestique est un peu sacrifié à l’autre, et M. Paladilhe traite mieux les faits que les âmes. Le ballet chez le duc d’Albe a de l’éclat, trop d’éclat parfois. Les cornets à pistons, trop chers au compositeur, y prennent des libertés vulgaires, un peu foraines ; mais la clarinette et la harpe s’y unissent ingénieusement pour suivre le vol de la charmante Mlle Subra. Citons encore une belle effusion de violoncelles pendant que Mlle Torri, noble héritière de Mlle Marquet, organise le divertissement et prend le ciel à témoin de ce qui va se passer. Très galant est le madrigal de La Trémouille avec ses fines harmonies, et tout à fait exquise, avec un soupçon de mélancolie, la pavane chantée à bouches tour à tour ouvertes ou closes.

Maintenant va se révéler chez M. Paladilhe un tempérament que nous ne lui connaissions pas. De nos compositeurs, jeunes encore ou déjà mûrs, je ne vois que M. Saint-Saëns, qui puisse ainsi bâtir trois actes de grand opéra. Le maître d’Henri VIII l’a fait et le refera encore : avec plus d’originalité que l’auteur de Patrie ! avec une science autrement assurée, des procédés plus habiles et des artifices plus heureux, mais sans plus de vérité dans le sentiment ni de justesse dans l’expression. Si au troisième acte de Patrie! le trio de Karloo, du duc d’Albe et de Rafaële ne vaut rien, si la rodomontade du ténor surtout n’est qu’un vulgaire ran-plan-plan, tous les récits d’Albe méritent l’attention, et la douce plainte de Rafaële : Hélas! j’espérais tant! mérite l’émotion. Voilà de ces traits rapides, et personnels ceux-là, qui font beaucoup pour la silhouette d’un personnage. Enfin, la grande scène de la dénonciation est une des mieux conduites que, depuis longtemps, on ait entendues à l’Opéra. Sans dévier, sans faiblir, avec des modulations heureuses, des rythmes variés, toujours naturels et presque nécessaires, avec de courtes pauses, où se reprennent de nouveaux