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phrase de Marguerite éperdue : Seigneur, accueillez la prière des cœurs malheureux! Au second, le complot de Rysoor et de ses amis est fait tout entier avec deux motifs d’une autre conjuration, celle de Guillaume Tell : même dessin de violoncelles, ou à peu de chose près, qu’à l’entrée du canton d’Uri; même réponse des chœurs que sur ces paroles : Guillaume, tu le vois ! Aux dernières pages du ballet de Patrie! comme de celui de Faust, on attend l’apparition de Phryné. Au quatrième acte enfin, le cri de Sapho sur son rocher couronne le beau lamento de Rysoor trahi. Le hasard est parfois un merveilleux ouvrier : il a des raffinemens mnémoniques dont une habileté volontaire n’égalerait jamais l’ingéniosité. Il amène des retours imprévus, presque des quiproquo de musique, qui dans Patrie! ne tiennent pas seulement l’attention, mais la mémoire en éveil.

Le défaut est grave, et il atténue sans doute la valeur d’une œuvre, ou plutôt le mérite d’un auteur. Le mérite ! un mot toujours gros de querelles. Que nous fait le mérite ? et faut-il au fond se tant soucier de l’origine des choses? Qu’importe, après tout, quand le souffle passe, s’il a déjà passé sur des cimes? Pourquoi, devant des souvenirs involontaires, inconsciens, se défendre et leur dire : « Je vous connais et je ne vous aime plus. » — Pourquoi? Parce que nous avons le goût et le besoin de la personnalité, de l’individualité, du verre qui n’est pas grand, mais qui est notre verre. Admettons un instant qu’un chef-d’œuvre posthume de Beethoven se retrouve demain, on crierait : « Bravo ! » Mais que de ce chef-d’œuvre acclamé notre voisin se déclare et se démontre le père, alors c’est peut-être : « Haro ! » que l’on criera. Notre admiration esthétique se refuse à l’hommage collectif ou anonyme. Nous aimerions être certains de devoir l’Iliade à un seul Homère, et si d’aucuns s’inquiètent tant du paradoxe baconien, c’est apparemment qu’ils tiennent à l’unité de Shakspeare, voire même à son nom.

En écoutant Patrie! on se dit tout cela. A chaque instant, l’on prend la musique en flagrant délit d’imitation, et... toujours on lui pardonne. La probité de notre admiration s’inquiète; notre plaisir n’est pas sans scrupules, mais il est assez vif pour que nous lui trouvions des excuses. L’excuse de M. Paladilhe, elle est un peu dans ses facultés mêmes, dans sa mémoire d’enfant prodige qui autrefois, dit-on, possédait le Clavecin bien tempéré tout entier. Mais elle est ailleurs encore : dans le respect et l’amour du musicien pour ses grands devanciers, dans quelque modestie et quelque défiance de soi. Effrayé de sa tâche, quand le poids était trop lourd, il a crié vers ceux qui ne faiblissent pas, et ses maîtres l’ont secouru.

La vive sympathie que nous inspire l’opéra de M. Paladilhe a plus que ses excuses; elle a ses raisons : des raisons du cœur, les meilleures