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rien, absolument rien, car elle en aime un autre. Voilà ce que je viens d’apprendre, et je ne vous cache pas que j’en suis consterné. Il y a un an, étant en France, nous avons rencontré en Seine-et-Oise un campagnard jeune, beau et bien fait. Il gravissait lentement un ravin ; il s’en allait comme en rêvant ; lui ayant demandé le chemin du Bosquet du roi, il nous offrit de nous y conduire; son physique remarquable, ses manières séduisantes, son amabilité, firent de prime abord une grande impression sur ma fille. De plus, Ethel ayant appris par l’effet du hasard, comment, au risque de sa vie, il avait arraché aux flammes une pauvre vieille femme, cette circonstance acheva d’enflammer le cœur de ma fille. Vous savez que l’héroïsme est le meilleur talisman pour gagner le cœur d’une femme? Bref, elle l’aime, et c’est pourquoi elle refuse d’agréer vos vœux.

À ces mots, Didier se précipite dans les bras de M. Elsewhere et s’écrie :

— Vous ne sauriez deviner ce qui se passe en moi, mon front est en feu, ma tête éclate!

— Calmez-vous, jeune homme, votre état m’effraie!

— Au nom de tout ce que vous avez de plus cher, au nom de miss Ethel, ne me refusez pas la dernière chance de salut qui se présente à mon esprit. Depuis un an, que de choses ont pu se produire! Qui sait si mon rival, le fermier de Seine-et-Oise, n’a pas été pris par le service militaire? Qui sait s’il n’est pas parti pour le Tonkin et mort sous les drapeaux? Qui sait encore s’il n’est pas heureux époux et père de famille? Au cas qu’il en fût ainsi, miss Ethel ne se laisserait-elle pas fléchir et ne consentirait-elle pas à revenir sur sa décision?

— Pour ma part, je serais heureux qu’il en fût ainsi. Que faire?

— Si vous voulez m’en croire, la chose est bien simple, l’épreuve est facile à tenter. Voici ce que je vous conseillerais : allez avec miss Ethel vous enquérir si celui qui a eu l’heur de lui plaire est encore de ce monde ; à cet effet, il faudrait vous rendre au Bosquet du roi, où la première personne que vous rencontrerez sur la route ne saurait manquer de vous donner les renseignemens que vous désirez avoir. On a toujours raison de s’expliquer de vive voix.

— J’espère que ma fille ne fera pas opposition à ce plan, et dès demain matin, nous partirons pour Versailles à midi, de façon à pouvoir reprendre le soir le train de marée.

— Je compte sur une lettre de vous, monsieur, pour me communiquer mon arrêt de vie ou de mort.

— En attendant, jeune homme, prenez patience et armez-vous de force, comme disait David à Salomon.