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Venu au théâtre pour se distraire, il est bientôt si distrait du théâtre par la présence de miss Ethel, que, lorsque Mme d’Antac lui demande comment il trouve Mlle Reichemberg, il répond :

— c’est en Angleterre qu’il faut l’aller chercher.

— Qu’est-ce que vous nous racontez là? S’écrie Mme d’Antac en poussant de petits éclats de rire. Dites-nous donc, je vous prie, ce qu’il faut aller chercher en Angleterre?

— Le bonheur, murmura-t-il tout bas, mais non pas si bas qu’Ethel ne l’ait entendu.

— Vous ne répondez toujours pas à ma demande? reprend la comtesse d’un ton de léger persiflage.

Ethel, s’apercevant que Didier cherche en vain un faux-fuyant, s’empresse à venir à sa rescousse en disant :

— Des aiguilles de Leeds; de la coutellerie de Sheffield.

— Sans le chercher, on y trouve aussi le brouillard, riposte Arthur d’Antac.

— Ah! mon cher, l’homme n’est-il pas partout enveloppé du brouillard de ses illusions? Elles l’entourent tantôt de leurs ailes noires, tantôt de leurs ailes roses, manteau chamarré de craintes et d’espérances, tissu de lin ou de pourpre, ayant ou la pesanteur de la cotte de maille, ou la légèreté de l’aile du papillon?

— Diantre ! comme te voilà en veine de poésie ! je ne t’ai jamais connu cette disposition d’esprit.

— Moi-même je ne me reconnais pas. C’est à la muse qu’il faut s’en prendre; le charme s’exerce à votre insu, vous ne vous appartenez plus. Sous son influence, le philosophe devient rêveur, le prosateur devient poète, l’homme de loi devient fou.

— J’en connais, en effet, qui m’ont tout l’air de battre la campagne, reprit malicieusement Mlle d’Antac, s’amusant plus encore de la petite scène qui se passait dans sa loge, que de celle qui se jouait sur le théâtre. Bientôt le rideau se lève, le silence se rétablit; puis, la pièce finie et au moment de se séparer, Didier demande à miss Ethel la permission d’aller lui présenter ses hommages avant son départ.

Il rentre rue Palatine. A l’idée de quitter celle qu’il aime, il prend la résolution de lui avouer son amour et de demander sa main. Il arrive, le lendemain, à l’hôtel Meurice, sous le coup de la plus grande surexcitation. A l’air troublé, à la pâleur du visiteur, miss Elsewhere s’avance vers lui à pas pressés en disant :

— Seriez-vous souffrant, monsieur d’Aumel? Prenez ce siège-là, près de moi, et causons. Mais qu’avez-vous donc? Vous aurais-je fait de la peine hier soir, sans m’en douter. Vous ai-je froissé par quelque parole étourdie et involontaire? Bien sûr, vous avez quelque ennui,