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et Ethel échangent peu de paroles, mais de temps en temps des sourires. On dirait que tous deux ont peur de trahir un secret ou de perdre un trésor. A dessein ils marchent lentement comme pour retarder le temps et le moment de la séparation.

La première, Ethel rompit le silence :

— Quelques jours encore, dit-elle, et nous aurons quitté la France ; les devoirs de mon père le rappellent à son doyenné. Qui sait si nous reviendrons jamais dans votre beau pays?

— Ce que femme veut, Dieu le veut ! dit le proverbe français.

— Eh bien ! moi, je puis dire : Ce que fille désire, père le veut!

Avant qu’elle eût eu le temps d’ajouter un mot, le dean, qui était à portée de voix, reprend :

— Vous n’avez jamais dit plus vrai, Ethel, et je n’attends que votre agrément pour demander les chevaux.

En faisant à son père un signe de tête affirmatif, le visage d’Ethel change de couleur. Le moment du départ est arrivé.

Après avoir adressé d’aimables remercîmens à Didier, le père et la fille remontent à cheval. Ethel charge le groom de sa brassée de fleurs, mais le jeune cultivateur n’est pas sans avoir remarqué que la belle amazone en a détaché des brins de clématites qu’elle a passés dans une boutonnière de son corsage.

De nouveau, les cavaliers franchissent la barrière; bientôt ils disparaissent derrière un rideau d’arbres. Grave et pensif, Didier tient son regard attaché sur le chemin qu’a suivi miss Ethel, comme le navigateur sur l’étoile qui décide de sa destinée.

À ce moment, le soleil descend majestueusement au fond de la plaine; les nuages donnent une teinte rose à la cime de la forêt de Marly ; on entend le chalumeau du pâtre, le grelot des vaches, léchant des oiseaux, ces hôtes mélodieux des bois; de distance en distance, les travailleurs marchent d’un pas lent et lourd; celui-ci une pioche sur l’épaule, celui-là un croc ; un autre une pelle. Ils suivent à la file la charrette chargée de pommes de terre conduite par Didier. Le soleil strie le sol de longues raies minces, pendant que le souvenir de miss Ethel pénètre comme un trait d’or dans le cœur du campagnard ; de son côté, la jeune miss anglaise chevauche silencieuse et rêveuse; elle se dit intérieurement: Rien dans la vie d’une femme ne vaut peut-être un sentiment caché et mystérieux, d’autant plus inaltérable qu’il ne se dépense pas au dehors, de même qu’un parfum précieux, renfermé dans un vase, conserve sa force et résiste à l’action du temps.


III.

Au commencement du mois de novembre, l’ouverture des cours de l’École de droit ramène Didier à Paris, et le campagnard se trouve