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— Tenez, voyez mes richesses! dit Ethel chargée d’une brassée de fleurs et en se rapprochant de Didier.

Il garde le silence, pensant sans doute que la plus jolie fleur n’est pas dans le bouquet ; une certaine rougeur monte au visage d’Ethel; on dirait qu’elle a deviné la pensée de celui qui la regarde.

— Ah! j’aperçois là-haut ma fleur favorite, c’est la clématite sauvage. Quel dommage qu’elle soit hors d’atteinte !

— En effet, quiconque tenterait d’escalader ce vieux pan de mur en ruines risquerait fort de se casser le cou.

Tout en causant, ils arrivent à l’huis branlant de la chaumine. Ethel entre la première et voit une pauvre vieille, à la petite figure racornie, qui pleure sur ses malheurs.

— Eh bien ! mère Trouillis, voyez si je ne pense pas à vous ! Je vous amène une belle demoiselle anglaise qui vient prendre elle-même de vos nouvelles.

— Par Jésus, qu’elle soit bénie !

Sur une question d’Ethel, la brave femme commence son récit et ne déparle plus. Didier se doute que sa modestie aura trop à en souffrir et, malgré le plaisir certain qui se mêle à ce genre de souffrance, il quitte furtivement la pièce.

La mère Trouillis raconte effectivement que, lorsque personne n’osait approcher de son grabat pour l’arracher aux flammes, Didier, au risque d’être suffoqué par la fumée, vole à son secours, pénètre résolument jusqu’à elle, la saisit et l’emporte comme une plume. « Bonté divine ! ajoute-t-elle, v’là un jeune homme comme il n’y en a pas épais sur terre! c’est bon, c’est courageux, c’est travailleur. Tandis que les gars d’aujourd’hui, c’est des feignans et des noceurs. »

À ce moment, Didier, le teint animé, pantelant, entre en tenant une jonchée de clématites qu’il dépose aux pieds d’Ethel.

— Que vois-je! est-ce possible? Si j’admire le courage qui fait que l’on risque sa vie pour sauver celle d’autrui, je suis tentée de me fâcher de la folie que vous venez de faire pour satisfaire un de mes caprices.

— Oubliez la folie, mademoiselle, et gardez seulement le souvenir du fou!

Ethel lève les yeux vers lui, puis ses longs cils s’abaissent comme un voile sur ses prunelles. Se penchant vers la mère Trouillis, elle serre ses mains décharnées dans les siennes, l’exhorte à la patience, à la confiance en Dieu et finalement lui remet plusieurs pièces d’or.

— Merci, ange de bonté ! que le ciel vous récompense, répète la vieille d’une voix débile.

Comme ils s’en revenaient vers le champ du Chêne-Capitaine, Didier