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comme le successeur désigné de M. Gladstone au leadership du parti libéral. Comme le marquis de Salisbury tenait essentiellement à emprunter un homme aux libéraux unionistes, lord Hartington a consenti à lui prêter M. Goschen, qui unit à l’avantage d’être un financier émérite celui d’avoir toujours été un solitaire, de n’appartenir à aucun parti. M. Goschen a pu ainsi devenir chancelier de l’échiquier sous une administration tory, sans que les gladstoniens soient autorisés à l’accuser d’apostasie, sans que les conservateurs, d’autre part, aient le droit d’exiger de lui, comme d’un nouveau converti, quelque témoignage exagéré de zèle ou le moindre démenti à ses doctrines et à ses opinions passées.

L’entrée de M. Goschen dans le cabinet tory ne donne à celui-ci aucun accroissement réel de force. Elle ne l’affaiblit point cependant, et, dans une certaine mesure, augmente sa respectabilité. M. Goschen est un administrateur sérieux, un orateur grave, que M. Gladstone lui-même devra traiter sérieusement. Les autres remaniemens effectués dans le cabinet sont sans importance. Le point essentiel pour le marquis de Salisbury est le maintien de son accord avec lord Hartington, qui s’est de nouveau engagé à lui donner l’appui des unionistes. Il est vrai qu’un nouveau danger menace le gouvernement conservateur, la défection probable de M. Chamberlain, M. Gladstone a offert son pardon à l’enfant prodigue. Des conférences vont s’ouvrir où doivent être discutées les conditions de la rentrée en grâce du radical repentant. M. Chamberlain a pris bien des engagemens solennels contre les projets home-rulers de M. Gladstone. Il a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne consentirait jamais à accorder à l’Irlande l’indépendance législative. Reprendra-t-il sa parole ? ou M. Gladstone modifiera-t-il assez profondément ses vues pour jeter un pont sur le fossé qui le sépare des libéraux dissidens? Il nous semble toutefois que ce n’est pas le résultat de ces tentatives de rapprochement (elles se seraient produites en tous cas) que le gouvernement conservateur a le plus à redouter après le choc qu’il vient de subir, c’est du sentiment qu’il conserverait de sa propre faiblesse que naîtrait pour lui le péril le plus sérieux. Il y a un mois, le cabinet tory se préparait à aborder avec toutes chances de succès la solution conservatrice du problème irlandais. Il a perdu depuis lord Randolph Churchill; c’est quelque chose ; mais il est à craindre qu’il n’ait perdu aussi la confiance en ses propres forces, et c’est beaucoup.


A. MOIREAU.