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Le jeune et brillant chancelier de l’échiquier, lord Randolph Churchill, s’est séparé avec éclat de ses collègues du ministère et a donné sa démission pour des raisons si mystérieuses que les plus perspicaces des Calchas politiques ont dû renoncer à en expliquer le sens aux simples mortels. Les tories ont été tout désorientés de ce coup imprévu. Au spectacle du désarroi qui s’est mis dans les rangs de cette armée naguère si compacte, si disciplinée, l’opinion publique a failli perdre toute confiance dans les garanties d’ordre et de stabilité que les vainqueurs du scrutin de juillet s’étaient vantés de pouvoir seuls offrir à la nation britannique. Lord Salisbury a eu quelque peine à calmer cet émoi, à rappeler ses troupes au respect d’elles-mêmes, son parti au sentiment de la dignité. Tout n’était pas perdu parce qu’un enfant terrible du torysme se fâchait tout rouge de ne pouvoir présenter, à l’ouverture du parlement, un budget à sensation. Le ministère n’était pas disloqué parce qu’un de ses membres, le plus capable peut-être, le plus compromettant à coup sûr, désertait son poste la veille de la bataille. Qu’une dissidence sérieuse eût éclaté entre lord Randolph Churchill et ses collègues au sujet de l’Irlande ou sur la question des dépenses de la guerre et de la marine, ou enfin sur la politique extérieure de la Grande-Bretagne, en quoi cet incident pouvait-il affecter la situation respective des partis et surtout l’alliance intime contractée entre les conservateurs et les unionistes? Quelques bonnes raisons que le premier ministre eût à faire valoir pour rassurer les timorés de son parti, il ne pouvait que trop clairement constater les fâcheux résultats du coup de tête de lord Churchill. Il a trouvé moins de difficulté à apaiser l’effarement des conservateurs qu’à fermer la crise ministérielle. Cette crise dure encore au moment où nous écrivons. Cependant, la situation se dessine, et on peut dès maintenant prévoir que le cabinet tory reconstitué ne présentera pas un mauvais front de combat à l’opposition qui se prépare à l’assaillir à la fin du mois.

Lord Salisbury a renoncé, dès le début de la crise, est-ce politique pure ou défiance? à chercher, dans la réserve disponible de son propre parti un homme d’état qui pût prendre la place de lord Churchill à la fois comme chancelier de l’échiquier et comme leader de la chambre des communes. Il a fait revenir en toute hâte lord Hartington d’Italie pour lui offrir le partage du pouvoir et même le poste de premier ministre. Lord Hartington a refusé pour les mêmes motifs qui lui avaient fait une première fois repousser une offre analogue au lendemain des élections. Il est et entend rester chef des whigs, et ne peut en aucun cas faire partie d’un cabinet conservateur, fût-ce pour le diriger, car il se considère et se réserve