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parut dans le journal de M. O’Brien, United Ireland, le fameux plan de campagne qui a mis en émoi l’Irlande et l’Angleterre et qui forcera peut-être le gouvernement conservateur à faire ce qu’il tenait tant à éviter, à rentrer dans le régime des lois d’exception. Ce plan de campagne, exposé et développé dans les plus minutieux détails par l’organe officiel de la Ligue, enseignait aux paysans irlandais le moyen de refuser sans crainte le paiement des rentes, sauf aux conditions qu’il leur plairait à eux-mêmes de déterminer et que les landlords devraient accepter sous peine de ne plus toucher un penny de leur revenu. Tous les tenanciers d’un même domaine devaient s’entendre pour ne traiter qu’en commun avec le landlord. Après avoir fixé le montant de la réduction qu’ils croyaient devoir réclamer, et qui pouvait varier de 35 à 50 pour 100, ils se rendraient devant le propriétaire ou son agent, prêts à remettre les fonds immédiatement si la réduction demandée était concédée. En cas de refus, les tenanciers rompraient tous pourparlers et remporteraient leur argent pour le déposer entre les mains de fidéicommissaires choisis par eux (généralement le prêtre de la paroisse ou l’agent local de la ligue). Les fonds ainsi déposés serviraient à indemniser ceux des tenanciers qui pourraient se trouver victimes d’une éviction, à supposer que le landlord eût l’audace de tenter une opération de ce genre en face de la réprobation universelle à laquelle il devait s’attendre. La ligue répondait de la gestion des fonds par les fidéicommissaires et s’engageait à soutenir, par des subsides réguliers, tous les fermiers chassés de leur demeure.

Les merveilleux effets que les auteurs du plan de campagne se promettaient de leur ingénieuse invention se firent encore quelque temps attendre. Les fermiers étaient surpris et charmés plutôt que convaincus. La tentation était grande, mais grande aussi pouvait être la responsabilité. En vain M. Dillon promenait son évangile agraire de village en village. On n’osait se décider, attendant que l’exemple fût donné par un voisin. Enfin, vers le milieu de novembre, le plan de campagne commença à être appliqué sur quelques grands domaines où les tenanciers se comptent par centaines, même par milliers. D’ailleurs, la ligue appelait à l’œuvre le ban et l’arrière-ban de ses adhérens. Le clergé catholique s’était prononcé, dès le début, pour la guerre aux landlords ; presque tous les meetings étaient présidés par des curés de village; c’est sous la conduite de leur curé que les fermiers allaient en corps imposer des conditions au propriétaire ou à son agent. MM. Dillon et O’Brien furent en outre assistés de quelques-uns de leurs collègues du parlement. On vit descendre successivement dans l’arène MM. Abraham, Harris, Finucane, Sexton, Macdonald, Deasy et Harrington, le secrétaire