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des landlords qui ne consentiraient point à réduire largement le montant des fermages.

Peut-être cependant M. Parnell n’aurait-il pas été fâché de laisser les choses suivre un cours plus paisible. On le voit quelques jours après la fin de la session, dans une lettre à M. Fitzgerald, président de la Ligue nationale irlandaise aux États-Unis, solliciter l’appui pécuniaire des compatriotes américains en faveur des fermiers d’Irlande menacés d’éviction. Il s’adresse à ces comités de New-York et de Chicago d’où viennent les mots d’ordre impératifs auxquels il faut bien que se soumettent les chefs de l’agitation en Europe. Aussi leur parle-t-il le langage qu’il sait leur convenir : « Le rejet du bill de secours aux fermiers, les menaces à peine voilées du secrétaire pour l’Irlande, l’augmentation alarmante du nombre des évictions, indiquent clairement le commencement d’exécution d’un plan d’extermination combiné entre le gouvernement anglais et les landlords irlandais contre les tenanciers. » Mais la demande de fonds se termine par un éloge de la méthode expectante si chère à M. Parnell : « En nous envoyant cette assistance morale et matérielle qui ne nous a jamais fait défaut de votre côté de l’Atlantique, vous encouragerez les faibles à résister à l’oppression, et vous allégerez dans les cœurs des malheureux expulsés ces sentimens de désespoir qui ont si souvent poussé ces victimes à recourir à la sauvage justice de la vengeance. Vous aiderez à conserver à notre mouvement ce caractère pacifique qui lui a permis de remporter son plus récent et presque décisif triomphe (la conversion de M. Gladstone au home rule), tandis que vous le fortifierez contre la tyrannie et soutiendrez le courage de notre peuple jusqu’à ce que nous ayons définitivement conquis notre indépendance législative. »

D’autres conseils n’allaient pas tarder à prévaloir. Il fallait à tout prix que le mouvement ne conservât pas ce caractère pacifique, dont le maintien eût entièrement comblé les vœux du ministère anglais et justifié la condamnation parlementaire des propositions de MM. Gladstone et Parnell. Celui-ci, sachant que les méthodes constitutionnelles n’auraient rien à voir dans ce qui se préparait, prit le sage parti de disparaître provisoirement de la scène politique. Depuis sa lettre à M. Fitzgerald, on n’a plus entendu parler de lui. En revanche, ses lieutenans, et surtout MM. John Dillon et William O’Brien, ont terriblement fait parler d’eux. Dès le commencement d’octobre, on les voit parcourir l’Irlande dans tous les sens, convoquant des meetings, haranguant les paysans, les engageant à ne rien payer si leurs propriétaires ne veulent donner pleine quittance contre versement de la moitié des sommes dues,