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ne ferait pas à M. Parnell cette concession de briser l’unité de l’empire et d’installer, sur les flancs de l’Angleterre, une puissance étrangère, bientôt une puissance ennemie. Aux élections de 1885, on n’eut pas à se prononcer pour ou contre le home rule, et, d’ailleurs, les Irlandais votèrent alors contre les libéraux ; on les voyait d’accord avec les conservateurs. Un ministère libéral fut formé ; il en fit lui-même partie. M. Gladstone lui avait offert le poste de premier lord de l’amirauté, une place brillante, avec un beau traitement et une résidence officielle, au moins 5,000 livres par an. Il avait refusé, pourtant, préférant la position la plus modeste du cabinet, la présidence du bureau du gouvernement local, où il espérait pouvoir préparer le triomphe de quelques-uns des principes auxquels il avait consacré sa vie. En devenant un des collaborateurs de M. Gladstone, il ne lui avait pas dissimulé sa ferme résolution de ne pas souffrir que l’unité de l’empire pût être compromise. Le jour où il avait eu communication complète des projets de M. Gladstone, qui, selon lui, exposaient cette unité aux plus grands périls, il s’était séparé, non sans regret, mais sans hésitation, d’un chef vénéré. Il appartenait maintenant à ses électeurs de juger sa conduite. Le ton de ce discours apologétique ne rappelait guère celui des harangues enflammées et des déclamations radicales qui, dans les premiers mois de 1885, avaient causé une si grande sensation et mis en émoi la bourgeoisie et l’aristocratie britanniques. Le diable se faisait ermite, précaution utile dans une campagne faite en commun avec les conservateurs.


IX.

Les élections eurent lieu pendant la première quinzaine de juillet. Les efforts combinés des gladstoniens et des parnellistes ne purent empêcher lord Hartington d’être élu avec une grande majorité à Rossendale dans le Lancashire. Birmingham resta fidèle à M Chamberlain et nomma des unionistes. Dans l’Angleterre même, les coalisés antigladstoniens furent complètement vainqueurs. Mais M. Gladstone n’avait pas compté vainement sur l’Écosse, où des associations pour la réalisation de son programme et le succès de la politique home ruler avaient été fondées par lord Rosebery, et la campagne en faveur de l’indépendance législative pour l’Irlande menée avec une extrême énergie. Là, les unionistes subirent des pertes sensibles. MM. Trevelyan et Goschen restèrent sur le carreau, victimes de l’indignation populaire causée par leur révolte contre la domination de M. Gladstone[1].

  1. Un exemple peut donner une idée des sentimens auxquels bon nombre de libéraux dissidens se heurtèrent à leur première rencontre avec leurs électeurs après le vote du 7 juin. Un M. Rylands représentait depuis onze ans les libéraux de Burnley. Il avait été élu en novembre 1885 sur le programme du manifeste du Mid-Lothian. Puis il avait voté contre M. Gladstone. Il se présenta, dès le lendemain, devant un groupe libéral de sa circonscription. Il avait agi, dit-il, suivant sa conscience et voté en bonne compagnie avec des hommes tels que MM. Bright, Chamberlain… Mais plus il citait de noms, plus s’accentuaient les grognemens de l’auditoire. Quelqu’un cria : « Gladstone les vaut tous ! » et M. Rylands de répondre : « Je veux bien que nous ayons de pauvres et faibles intelligences ; encore doit-on nous reconnaître le droit de nous former une opinion sur les affaires publiques. Il raconta ses efforts pour arriver à fin compromis. Que M. Gladstone proposât un nouveau bill donnant le self-government local à toutes les parties de l’Angleterre comme à l’Irlande sous les trois conditions suivantes : maintien de l’unité de l’empire, suprématie du parlement, protection de la minorité, et il voterait ce bill avec enthousiasme. Le plaidoyer fini, on passa au vote sur cette question : Êtes-vous content de M. Rylands ? 67 voix dirent Oui et 203 dirent non. Ce qui ne l’empêcha pas, trois semaines plus tard, d’être réélu.