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d’un gouvernement autonome pour l’Irlande et le projet de rachat des terres étaient-ils réellement fondés sur des bases si peu pratiques, si contraires aux bons principes économiques, si incompatibles avec les mœurs, les habitudes et la tournure d’esprit et de sentiment des Irlandais, que l’épreuve, au cas où une application en aurait pu être tentée, fût vouée fatalement au plus lamentable insuccès? Nous ne nous hasarderons pas ici à faire suivre de réponses plus ou moins hypothétiques ces points d’interrogation. Ce que l’on peut dire, c’est que les projets de M. Gladstone, lorsqu’il les développait, étaient bien séduisans, et, lorsqu’on les attaquait, paraissaient bien peu sensés. Ce qui est certain, c’est que, pour avoir voulu les imposer à son parti et au parlement, il venait de briser en trois tronçons ce grand parti libéral qu’il avait si glorieusement dirigé depuis tant d’années, c’est que, malgré son ascendant personnel si puissant, malgré son immense popularité, il venait de subir sur le terrain parlementaire un échec décisif, et que le pays, qu’il avait hâte de consulter, allait bientôt lui en infliger un autre plus décisif encore.

La campagne électorale devait être de bien courte durée; un délai de vingt jours seulement séparait l’annonce faite par M. Gladstone de la dissolution prochaine du parlement et les élections elles-mêmes (10 juin-1er juillet). Aussi les chefs de parti se mirent-ils promptement à l’œuvre, secondés par toute l’armée des politiciens auxquels il n’avait jamais été demandé un service aussi actif que depuis douze à quinze mois.

En quelques jours, M. Chamberlain eut constitué une Union radicale et lord Hartington une Union libérale, et ces deux sociétés combinèrent aussitôt leurs efforts avec l’Union loyale et patriotique irlandaise. Il s’agissait d’organiser l’assaut, en Irlande et en Angleterre, contre les places-fortes des libéraux gladstoniens. En même temps se succédaient les entrevues entre les leaders du parti tory et les représentans des deux fractions libérales sécessionnistes. Il fut rapidement convenu que l’on ferait campagne en commun sous le drapeau de l’union, que de part et d’autre on respecterait les positions occupées déjà dans les circonscriptions électorales, et que, sur tous les points, on se prêterait un concours mutuel.

Du côté du gouvernement, l’activité n’était pas moindre. Les éclaireurs du parti ministériel avaient déjà cependant signalé toutes les difficultés de la situation, le manque de fonds et aussi le manque de bons candidats, la désorganisation causée dans un grand nombre de districts par la rupture avec les radicaux. Mais M. Gladstone, en lutteur qui ne se laisse pas aisément décourager, se lança dans l’arène avec une telle fougue et une telle assurance que, tout d’abord, il parut avoir sérieusement déconcerté l’ennemi. Son manifeste parut le