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particulièrement dangereux, ils ne prennent pas d’armes de peur de se les faire voler. Parmi les mille détails qui accusent le mépris dans lequel sont tenus les Dizfoulis, il en est un assez curieux. Lorsqu’un homme se marie, il verse à son beau-père, pour l’indemniser, une certaine somme, qui, chez les nomades, peut s’élever jusqu’à 1,000 francs, ce qui est beaucoup dans ce pays où l’argent est rare ; à Dizfoul, elle n’est jamais supérieure à 18 ou 20 francs.

Alors que les autres Persans s’habillent de couleurs assez discrètes, les Susiens ne trouvent rien de trop éclatant. Leurs tuniques, très longues, presque des robes, sont bleues, jaunes, vertes, orange ou rouges. Les jours de leurs fêtes, c’est un curieux spectacle de les voir se livrer à une danse enragée, courant en rond les uns derrière les autres, sautant en l’air et poussant des cris assourdissans. Le soleil inonde de clarté les couleurs criardes de leurs vêtemens, fait sortir des éclairs des sabres nus qui tournoient ; des coups de fusils éclatent au milieu du groupe. Et la bande saute, trépigne jusqu’à complet épuisement des forces.

Ils sont grands amateurs de tapage et, pour eux, il n’est point de bonne fête qui ne comporte de longues séances de cris, pendant lesquelles ils ne cessent de se frapper violemment la poitrine. Ils se procurent ainsi une véritable ivresse. Ils sont très fiers de leurs talens dans ce genre d’exercice.

Ces goûts assez grossiers, en somme, sont fort étranges, comparés à l’enjouement plein de mesure des Persans et à leur courtoisie ; chez ceux-ci la politesse est très raffinée et si compliquée que, pour marquer sa mauvaise humeur à quelqu’un dont on est mécontent, il suffit de ne pas lui faire les complimens ordinaires. Les Susiens sont tout différens : ils sont querelleurs, et sans leur lâcheté, ils seraient très batailleurs. Entre eux, ils ont toujours l’injure à la bouche et se reprochent avec une libéralité excessive d’avoir un père damné ou une mère peu estimable.

Les mœurs du peuple sont fort relâchées ; l’ivresse même, en dépit du Prophète, ne leur est pas inconnue. L’honneur des maris, si jalousement gardé dans tout l’Orient, subit à Dizfoul de rudes atteintes. Il y a cependant de bien graves inconvéniens pour l’homme qui se laisse ainsi tromper. Voici de quelle façon ceci nous fut révélé.

Un homme s’était endormi sur l’herbe ; et pendant son sommeil il avait été mordu ou piqué au pied. Il vint me trouver. Sur son pied, très enflé, on voyait deux petits points blancs, je le pansai en lui prescrivant de revenir le lendemain. Un de ses amis, qui était resté près de moi, me dit :