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abrégeons, M. Autrement avait dû déposer devant le lieutenant-criminel au Châtelet de Paris, à la requête de M. Fromentin, directeur des postes de Provence, assignant pour fait d’usure et de concussion Perrin, marchand, d’Aix, et père du chevalier. Il s’en était suivi une condamnation à 50,000 écus de restitution par un jugement qui couvrait Perrin d’infamie. La lettre, demeurée inédite, de Mme Sévigné donne une légère idée de cette cause célèbre, et le jurisconsulte la réserve pour un prochain volume d’Arrêts qu’il publiera incessamment, et, tandis qu’il vengera la mémoire de son beau-père comme un auteur peut le faire, ses deux beaux-frères, MM. Autrement, officiers dans les troupes palatines, « sauront trouver leur temps pour châtier, en gentilhommes, un auteur satirique qui les a offensés mal à propos. — Sur ce, je prie Dieu de conserver les côtes de votre chevaleureuse (sic) personne... » — Est-ce assez insultant et outrecuidant ! Mais ces assertions répétées de rapsodies et de platitudes, cette accusation de haine et de vanité cherchant une occasion de se satisfaire, ne résument-elles pas clairement les critiques formulées, par la masse intéressée ou non du public, contre le recueil des lettres de la marquise? Ce ne sont plus les véritables lettres, disait-on ; c’est Perrin substituant sa glose et ses tournures au texte défiguré de l’auteur. Nous avons évidemment ici un écho naïf, grossi, si l’on veut, de ce qui se disait couramment à Aix et un peu partout au moment de la publication. Mais quelle était cette lettre manquant au recueil imprimé et qu’on défiait Perrin de reproduire? La voici tout au long ; elle est assez courte pour pouvoir être mise sous les yeux du lecteur, qui jugera ainsi de sa valeur :


LETTRE DE MADAME DE SEVIGNE A MADAME DE GRIGNAN, SA FILLE[1].


Madame de La Fayette meurt d’envie de vous voir; son espérance sera-t-elle trompée? En vérité, mon enfant, mes sentimens semblent avoir passé dans son cœur sans être sortis du mien. M. L’abbé de Pontcarré parle toujours d’un voyage à Rome; il est parfaitement raccommodé avec son frère, et c’est une joie pour tous leurs amis communs; je suis persuadée que vous la partagerez avec nous. Notre ami Fromentin a fait placarder et crier par tous les coins et carrefours un monitoire fort drôle, quoiqu’en style de palais, contre Perrin, marchand de votre capitale, qu’il accuse d’usure et de concussion. Tout le monde plaint le pauvre Fromentin, mais tout le monde le blâme d’avoir refusé vingt

  1. Dans le manuscrit, on lit, à la suite : « à laquelle M. le chevalier correcteur Perrin ne manquera pas, sans doute, de restituer sa date. »