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entier. Il dit lui-même à Chamillart[1] que, voulant faire comme le maréchal et se trouver partout avec lui, du commencement jusqu’à la fin, il a eu de la peine à le suivre, mais que sa satisfaction a été grande de voir avec quel ordre, quel courage et quel succès les officiers de tout rang se sont comportés ! — n’est-il pas permis à un vieillard aussi jeune de cœur, aussi solide de corps, de se vanter ainsi, tout en prononçant l’éloge des autres ?

Tessé voit maintenant tout en beau. Il oublie jusqu’à ses propres paroles et, dans sa joie, il blâme ceux qui auraient voulu rencontrer dans les paysans et les villageois « une perfection de courage et d’esprit qu’ils ne sauraient avoir[2]. » Il ajoute encore que « si l’on a mis en doute la fidélité des Provençaux, c’est une visée toute pure, et jamais peuples n’ont été ni plus fidèles ni plus soumis. » Le maréchal ne perdit pas un instant pour informer le roi de la levée du siège[3]et, pour mieux faire, il envoya son fils à Versailles. Mais le marquis de Langeron, commandant de la flotte, en fit autant de son côté, et M. de Beaucaire, expédié par lui très en hâte, aurait devancé le fils du maréchal, si un accident ne l’eût arrêté en route, inde iræ ! et malgré les excuses ironiques que lui adresse Langeron, jusqu’à se déclarer ravi de la chute de son messager, Tessé ne put se retenir d’écrire à Chamillart ce post-scriptum autographe, que nous reproduisons, tellement il traduit sa rancune et répond à la démangeaison de donner un coup de griffe : à M. le maréchal de Gramont disait communément que l’animal de tous qui ressembloit le plus à l’homme, c’estoit le suisse, et moy je dis que le marin à terre ne ressemble à rien ; car à commencer par la valeur jusques aux moindres choses, tenez-les toujours à la mer et jamais à terre ; ils ne pensent point comme les aultres… Est gens[4]. »

Le comte de Grignan obtint que les consuls d’Aix, procureurs du pays, en reconnaissance de leur zèle à pourvoir l’armée, fussent continués dans leur charge jusqu’à l’année suivante. Il y avait des exemples de cette prorogation. Grignan et Tessé eurent encore à s’entendre pour obtenir un certain nombre de récompenses. Les unes consistaient en des gratifications variant de 300 à 600 livres

  1. Grignan à Chamillart, le 16 août 1707.
  2. Lettre de Tessé au roi, du camp de Cagnes, 1er septembre 1707.
  3. Tessé au roi, le 22 août 1707.
  4. Tessé à Chamillart, le 4 septembre 1707. Est gens, c’est-à-dire c’est une race à part. Ce jugement résume sans doute, à l’aide d’une boutade, une suite de tiraillemens que la ténacité bien connue des marins et une sorte de raideur qu’ils apportent parfois dans les rapports de service expliquent suffisamment.