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parler et apportait de curieux détails : Cavalier, à peine guéri d’un d’un coup de sabre reçu à Almanza, était accouru joindre M. de Savoie, qui le traitait en favori et l’admettait à sa table. C’était un réfugié du nom de Belcastel qui devait commander le débarquement, muni d’une patente de la reine Anne, et, une fois campés entre la mer, le Rhône et la Durance, les protestans, approvisionnés largement, ne seraient pas faciles à débusquer. L’autre préoccupation semble étrange au premier abord; elle était cependant fondée : il s’agissait de l’archevêque et du vice-légat d’Avignon, soupçonnés d’entente avec l’ennemi ; le premier, à titre de Piémontais, le second parce qu’il était gouverné par une créature de la maison d’Autriche ; tous deux suspects de ne reculer devant rien, jusqu’à faciliter le passage de Cavalier en Languedoc et à soulever le Comtat derrière l’armée française pour la cerner en cas d’échec. Tessé aurait d’abord voulu qu’on se saisît d’Avignon; il désignait le comte de Grignan comme l’homme le plus propre à cette expédition, « le plus agréable par mille raisons au peuple et à la noblesse de ce pays. » Le roi partageait cet avis ; il était informé des mauvais discours de l’archevêque et des relations qu’il entretenait avec le duc de Savoie. Il demandait au comte de Grignan de se concerter avec le maréchal pour occuper Avignon et renvoyer l’archévêque dans son pays; mais Tessé, quel que fût son mobile, changea d’avis au dernier moment, et Avignon ne fut pas saisi. Ce qui précède fait suffisamment ressortir l’importance de la ligne de la Durance. Le commandement de sa garde et des milices sur l’une et l’autre rive, de Pertuis à Barbentane, fut confié, par le comte de Grignan, au chevalier de Saporte[1], dont il avait éprouvé le zèle et l’activité.

Tout va se précipiter maintenant : l’arrivée de l’ennemi devant Toulon est du 26 juillet. Les premières escarmouches font replier les avant-postes. La position culminante du Faron, la position avancée de Sainte-Catherine, celle-ci à la suite d’un combat d’artillerie, sont emportées. M. Le Guerchois, dont la bravoure était incontestable, est accusé d’avoir faibli. Ce fut un instant d’alarme et un sujet de récriminations, fort peu justifiées au fond, puisque l’essentiel était de tenir jusqu’à l’heure décisive, et de ne pas s’user avant l’arrivée des derniers renforts. Les troupes françaises conservaient du reste leur ardeur et leur gaîté, à laquelle contribuait le bas prix du vin. A l’occasion, on dansait le soir au son du flageolet et du

  1. L’ordre donné à Aix est en date du 30 juillet; la qualification de chevalier tient sans doute à ce que Pierre-Joseph de Saporta avait alors reçu la croix de Saint-Louis.