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il va se rapprocher du Verdon, inspecter les ponts de la Durance, attirer à lui ce qui lui reste d’armée. Il la réunit entre Toulon et Marseille, d’Aubagne au Beausset; il va marcher avec elle ; que le roi lui envoie des forces suffisantes et il se charge alors de courir à l’ennemi la main haute.

Ce sont là de fières paroles, mais le comte de Grignan, en sa qualité de gouverneur, avait secondé le maréchal de tout son pouvoir, non sans garder et défendre au besoin ses idées propres. Moins tranchant et surtout moins personnel, il portait un jugement plus modéré sur les hommes et les choses, cherchant à tirer parti des élémens de résistance mis à sa portée, sans dédain comme sans illusion. Lui non plus ne croyait pas qu’on dût attendre des milices la solidité des troupes exercées ; mais il voulait les utiliser selon les lieux et les circonstances, tantôt pour garder certaines vallées et passages livrés à eux-mêmes, tantôt pour aider l’armée régulière, tantôt, enfin, pour accroître les garnisons et grossir les effectifs en incorporant une partie des miliciens dans les bataillons actifs. Les milices avaient été convoquées dès le premier moment. Celles des localités entre Marseille et Toulon ; celles du littoral, assujetties au service des gardes-côtes, sous l’autorité des capitaines généraux, chacun à la tête d’une circonscription territoriale, furent rassemblées à Toulon, On y rappela également les débris du corps qui, envoyé à l’origine pour défendre la ligne du Var, avait dû se replier en désordre sur l’Estérel. En définitive, ce mouvement de distribution des milices était fort avancé le 20 juillet, et, après avoir fait un choix parmi les hommes appelés et les avoir incorporés dans l’armée, on renvoyait le reste, qu’on n’aurait su comment nourrir. La difficulté venait toujours, non pas de la pénurie de soldats, mais du manque d’armes et de vivres à leur fournir. — Dès le 15 juillet, M. de Grignan avait exprimé l’idée de ne pas déplacer les milices le long de la frontière, ni surtout celles des vigueries voisines de la Durance, tant en raison de l’importance de cette rivière, comme ligne de retraite éventuelle, que pour surveiller les populations protestantes de la rive droite, dont le soulèvement, à un moment donné, aurait été fatal pour l’armée, si elle avait été forcée de reculer. Deux motifs tirés de l’ordre politique, deux préoccupations du moment rendaient cette garde encore plus nécessaire : d’une part, c’était Cavalier, le chef cévenol, dont la présence auprès du duc de Savoie était signalée. Il ne cachait pas son espoir de provoquer un nouveau soulèvement, et de fournir aux dissidens l’appui d’un corps de réfugiés et d’Anglais qui s’établirait dans la Camargue. L’évêque de Fréjus, le futur ministre de Louis XV, qui venait d’arriver, après s’être sauvé de sa ville épiscopale, l’avait fait