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semblait maîtresse des destinées de l’Europe et le règne se terminait par une ère de grandeur sereine que rien ne semblait pouvoir ébranler. Ces calculs, certains en apparence, dont se flattaient les esprits et qui suscitaient un enthousiasme universel, furent bientôt démentis. Le déclin et les malheurs vinrent frapper le vieux monarque en même temps que le vieux gouverneur, mais l’un et l’autre surent se raidir contre l’adversité et se montrer jusqu’à la fin supérieurs à la mauvaise fortune.

Le jeune marquis de Grignan, colonel, puis maître-de-camp d’un régiment de cavalerie, avait été nommé brigadier en 1702. L’avenir s’ouvrait sans doute fort beau devant lui, bien qu’il n’eût pas d’enfans de son mariage et en dépit des difficultés pécuniaires, de jour en jour plus inexorables, avec lesquelles sa famille était forcée de se débattre. En 1704, il commandait une brigade de cavalerie dans l’armée de Villeroy et il se distingua à la funeste bataille d’Hochstaedt. C’est dans la retraite désastreuse qui suivit cette défaite que le marquis de Grignan mourut, le 10 octobre, de la petite vérole, à Thionville, où sa femme était accourue pour le soigner. La pauvre mère écrasée mourut à Mazargues, près de Marseille, le 16 août 1705, du même mal que son fils et Mme de Sévigné. Ce fut une de ces ruines qui ne laissent que des débris épars et quelques pans de murs. Le comte de Grignan survivait dans l’isolement, en face de Pauline de Simiane[1]. Malgré tant de blessures, il lutta encore, apportant aux devoirs de sa charge la même activité, le même esprit juste et ferme qu’auparavant.


II. — L’INVASION AUTRICHIENNE ET LE SIEGE DE TOULON.

L’affaire principale des dernières années de M. de Grignan, celle qui atteste le mieux ses qualités essentielles, demeurées intactes jusque dans un âge très avancé ; qui l’associe, au terme de sa carrière, à l’une des belles pages de notre histoire nationale; c’est à coup sûr la part qu’il prit, en 1707, à la défense de Toulon assiégé par les Austro-Piémontais, aidés d’une flotte anglaise. Non-seulement cette flotte devait appuyer les opérations de l’armée de terre et forcer l’entrée du port de Toulon, mais elle était encore destinée à débarquer, vers le Bas-Rhône, des armes, des munitions et des

  1. Il avait pourtant une autre fille d’un premier mariage; elle avait épousé, malgré lui et sa belle-mère, le marquis de Vibraye et survécut à son père. Son fils, Paul-Maximilien Hurault de Vibraye, selon le témoignage de M. Frédéric Masson (le marquis de Grignan, p. 304), porta le titre de comte de Grignan.