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Saint-Amans[1] : elle était fille du financier Arnaud de Saint-Amans, qui avait tenu à Marseille la commission des vivres et avait été ensuite trésorier des états du Languedoc. Il était fermier-général et possédait, à Paris, une belle maison, montée sur un assez grand train. Il n’est pas inutile d’ajouter que M. de Saint-Amans retira chez lui le jeune ménage plutôt qu’on ne l’avait d’abord réglé et à la suite de quelques démêlés que Mme de Sévigné cherche à expliquer et à atténuer dans une lettre à son fils du 20 septembre 1695. Peut-être le propos célèbre attribué à Mme de Grignan par Saint-Simon n’était-il pas étranger à l’attitude maussade et aux exigences subites du financier. Il est certain au moins que la jeune marquise avait quitté Grignan avec son père, lorsque fut célébré, le 29 novembre, le mariage de Pauline, la petite-fille chérie de Mme de Sévigné, avec Louis de Simiane, marquis d’Esparron. Peu de mois s’écoulèrent après ces événemens de famille, déjà mêlés d’une part de tristesse et de désappointement, et la mort de Mme de Sévigné vint y joindre le surcroît d’une profonde douleur. Cette mort inaugura pour les Grignan une série de malchances qui acheva de les accabler ; ils brillèrent pourtant d’un dernier éclat à l’occasion de l’arrivée et du séjour en Provence des princes qui venaient d’accompagner Philippe V jusqu’à la frontière d’Espagne. À ce moment unique peut-être dans l’histoire de France, l’orgueil national pleinement satisfait vibrait à l’unisson de celui du souverain, qui voyait dans l’avènement de son petit-fils au trône d’Espagne le couronnement de ses desseins, longtemps poursuivis avec une habileté et une sagesse sanctionnées par le résultat. Les sacrifices consentis à la paix de Ryswik se trouvaient justifiés. La France unie à l’Espagne

  1. Saint-Amans, au lieu de Saint-Amant ou Amand, est conforme à l’orthographe suivie dans l’acte de mariage donné par l’historien du Marquis de Grignan, M. Frédéric Masson (Paris, 1882, p. 184). L’auteur entre dans de curieux détails à propos des embarras d’argent des Grignan, mais nous croyons qu’il se trompe dans son appréciation des circonstances mêmes du mariage; il fait, selon nous, fausse route, lorsqu’il entrevoit dans l’absence de « coucher, » dans la liberté laissée aux mariés et l’abstention des jovialités gauloises du lendemain, « un de ces drames intimes que les contemporains ne font que pressentir et que la postérité ignore. » — Loin de là, Mme de Sévigné, qui assiste pour la première fois à un mariage provençal, compare les usages du pays à ceux du nord et surtout de Bretagne, et cette comparaison, dans son idée, est favorable à la Provence. Là, effectivement, sous le plus humble toit, comme dans le monde le plus élevé, il n’y a jamais eu aucune de ces coutumes gaillardes, alors si répandues ailleurs. De nos jours encore, la jeune mariée villageoise, confiée uniquement à son mari, se retire avec lui de bonne heure. Elle agit de point en point comme le dit Mme de Sévigné. Celle-ci, en s’écriant: « Hélas ! que vous êtes grossier ! » rend exactement sa pensée, et, en s’excusant de ne pouvoir satisfaire la curiosité de M. de Coulanges, elle fait par cela même ressortir le côté honnête et le bon naturel des mœurs provençales.