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et le début d’une campagne heureuse qui força le duc de Savoie à accepter la paix.

Ainsi, en dépit d’un effort considérable, après avoir mis en avant les Barbets et fait marcher des corps entiers de réfugiés, malgré l’incendie de Cap et la dévastation du territoire, les coalisés, selon l’expression de Dangeau, « eurent la mortification devoir que, pendant leur séjour en Dauphiné, pas un religionnaire n’a branlé. » — Une lettre du comte de Grignan, écrite de Marseille le 21 août 1695, fait voir cependant que les mêmes fermens remuaient toujours ceux que l’on s’obstinait d’appeler « les nouveaux convertis » et que, sur les confins de la Haute-Provence et Dauphiné, certaines vallées devaient être surveillées et la population contenue par la crainte des archers.

Le séjour à Marseille de M. de Grignan tenait à la nécessité de combiner avec le maréchal de Tourville les mesures à prendre dans le cas où l’amiral Russell aurait voulu débarquer. Ce séjour est mentionné par Mme de Sévigné, alors à Grignan, qu’elle ne devait plus quitter : à la date du 20 septembre, elle attend son gendre, qui ne peut tarder à revenir, dit-elle, la mer étant redevenue libre. La teneur de la lettre du comte de Grignan fait voir qu’au moins, à la fin d’août, il ne songeait pas à quitter Marseille. En chargeant M. de Saporta de l’exécution de ses ordres en divers lieux de Provence et de la principauté d’Orange, il lui recommande de se rendre immédiatement à Grignan, où il recevra de plus amples instructions et des lettres, tandis qu’il continuera d’adresser les siennes à Marseille. Il s’agissait au total de se concerter avec les deux prévôts du Dauphiné et de Provence pour faire poursuivre ceux des « nouveaux convertis » qui avaient pris part à des assemblées tenues dans quelques vallées des Alpes et parmi lesquels un officier des troupes du roi s’était trouvé, disait-on. A la longueur de l’exposé, on comprend à quel point ceux qui détenaient le pouvoir se préoccupaient alors des moindres incidens de ce genre et en redoutaient les suites. Une lutte sourde et renaissant d’elle-même, sans être ouvertement engagée, existait entre les protestans opprimés et les catholiques persécuteurs. L’insurrection des Cévennes, considérée comme imminente, troublait les esprits, et l’on pensait, à force de rigueurs et de surveillance, écarter un calice amer, qu’il fallut boire pourtant. Il est vrai que la Provence n’y prit aucune part ; les dissidens y étaient trop disséminés et comme submergés, au milieu des catholiques, pour être tentés d’entreprendre quelque mouvement décisif.

Le jeune marquis de Grignan, objet de tant de soins et tant d’espérances, venait alors d’épouser (2 janvier 1695) Mlle de