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à la révolte. L’invasion débouche par la vallée du Queiran et la Haute-Durance. Embrun est assiégé le 5 août et se rend, faute de munitions, le 19. Gap est occupé et incendié ; mais c’est là le terme des succès du duc, qui tombe malade. Les nouveaux convertis, contenus par les milices, n’ont pas remué. Les populations du Dauphiné, levées contre l’étranger, le harcèlent et secondent Catinat; enfin le duc, menacé sur ses derrières, bat en retraite : il quitte Embrun le 16 septembre 1692 pour rentrer en Piémont. L’année suivante, il évacue même Barcelonnette, et la bataille de Marsaille l’oblige à négocier la paix. Ce court exposé va faire comprendre les mouvemens défensifs et les actes militaires du comte de Grignan en face d’une situation menaçante. L’invasion de la Provence était attendue non-seulement du côté des Alpes, mais par la mer, où la flotte ennemie, commandée par l’amiral Russell et postée à Barcelone, semblait prête à tenter une descente sur quelque point de la côte. Mme de Sévigné, qui venait faire justement son avant-dernier séjour en Provence, à son arrivée sur les bords du Rhône, en 1692, trouve son gendre revenu d’une petite expédition. Au mois de juillet, elle écrit à M. de Coulanges qu’il est vers Nice, avec un gros de troupes, prêt à repousser la flotte, si elle se présente. Ce moment correspond avec l’annonce du siège puis de la prise d’Embrun. Le comte de Grignan, ne pouvant suffire à tout, sentit la nécessité d’avoir quelqu’un qui, possédant sa confiance, commandât sous lui et mît en mouvement les milices puisque enfin on ne songeait pas à les employer réunies en corps de régiment ; il jeta les yeux sur un brave officier, capitaine depuis 1679 aux dragons de Languedoc, M. de Châteauneuf-Saporte[1], qu’il envoya successivement commander en son nom sur les points les plus menacés, avec des instructions reçues de lui et plein pouvoir vis-à-vis des consuls et des communautés. M. de Châteauneuf-Saporte reçoit ainsi, le 6 août 1692 à Brignoles, des ordres complétés à Aix le 6 septembre suivant « pour la garde nécessaire dans la ville et comté de Sault, dans la viguerie d’Apt et en divers passages de Provence en Dauphiné, comme aussi pour veiller sur la conduite des nouveaux convertis de ces quartiers-là. » Ces divers ordres, contresignés par Anfossy, le secrétaire bien connu du comte de Grignan, sont accompagnés de lettres explicatives[2] qui font ressortir les

  1. Le vrai nom est Saporta, dont la terminaison était francisée selon l’usage du temps : Pierre-Joseph de Saporta, seigneur de Châteauneuf-les-Moustiers, né en 1657, était fils de François-Abel, qui avait servi dans les mousquetaires, et de Jeanne de Gérard de Beaurepos, et petit-fils d’Etienne de Saporta, président au siège présidial de Montpellier. Il avait deux frères, officiers de mérite et chevaliers de Saint-Louis, et une sœur, Françoise de Saporta, mariée au marquis de Grillon.
  2. Ces lettres témoignent de l’exquise politesse et du ton gracieux qui présidaient alors aux rapports entre gentilshommes, de supérieur à inférieur, et dans les lettres mêmes concernant le service et transmettant des ordres. — Nous remarquons, dans une lettre du 21 août 1695, cette phrase : « j’ai cru devoir vous prier de vous y employer avec vostre zèle ordinaire pour le service de Sa Majesté et avec l’amitié que vous avez pour moy. » Et cette autre, du 29 juillet 1703: « Je compte sur vostre zèle pour le service du roy en cette occasion, et je ne laisse pas de penser que vostre amitié pour moy y entrera pour quelque chose. »