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d’un personnage équivoque, sorte de faux bonhomme, férocement égoïste et ami des plaisirs faciles, qui passait aux yeux de Tallemant des Réaux pour un original amusant, plutôt que pour un écrivain de génie. Plus tard, on connut un Lafontaine s’exerçant à devenir dévot, taciturne et ennuyé, comme le furent de nos jours Chateaubriand et Lamartine. Celui-ci traverse sous nos yeux une crise, sans doute momentanée, qui n’en contraste pas moins avec l’éclat et le bruit dont il fut si longtemps entouré. Aucun génie n’entre de plain-pied dans sa gloire ou, s’il le fait, c’est pour éprouver plus tard un retour par lequel il expie ce triomphe prématuré. Il en fut ainsi de Voltaire, et Victor Hugo, dont on s’est hâté de célébrer l’apothéose, n’échappera pas à une règle presque sans exception.

Ces sortes de vicissitudes varient du reste dans une mesure impossible à déterminer. Flottantes comme l’opinion, elles tiennent aux circonstances autant qu’aux hommes, et, parmi les morts qui attendent leur classement, les uns tombent rapidement avec l’engouement qui les avait soutenus, tandis que d’autres arrivent sans peine à obtenir le rang qu’ils doivent conserver. D’autres encore, ballottés en tous sens, demeurent longtemps controversés et luttent avant de s’y arrêter. Mme de Sévigné se place à égale distance de ces extrémités du sort. Elle s’identifie, dans notre pensée, avec la société et le règne de Louis XIV ; nous ne la séparons ni des siens dont les mobiles, les intérêts et les passions remplissent ses lettres, ni des personnages qu’elle sut faire agir. Sa renommée se confond avec celle de ces derniers ; nous ne devons pas oublier cependant qu’il n’en fut pas toujours ainsi, et que l’auréole de l’écrivain a été pour elle postérieure de près d’un demi-siècle à l’influence restreinte, quoique réelle et des plus légitimes, exercée de son vivant par la femme d’esprit. A la fin du XVIIe siècle, alors que Mme de Sévigné terminait sa carrière au château de Grignan, laissant son gendre cordon bleu, son petit-fils richement établi, sa petite Pauline mariée selon ses goûts, nul n’aurait pu prévoir les événemens sur le point de se dérouler : d’une part, la ruine prochaine d’une maison dans tout son éclat et, de l’autre, la gloire future de la charmante épistolière. C’est, cependant, à la suite d’une longue éclipse, après la disparition successive de la plupart de ceux qu’avait connus et aimés la vieille marquise, et non sans contradiction ni scandale, qu’eut lieu la publication de ses lettres; et comment se fit-elle, sinon par une fausse porte, à la suite d’éditions clandestines et altérées, contre le gré de la famille, au milieu des plaintes, des récriminations, des désaveux? Et encore si l’on s’en était tenu là, si l’officieux Perrin n’était pas survenu pour arracher à Mme de Simiane une combinaison qu’elle regretta presque aussitôt, que fût-il advenu ? — Le recueil