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qui la menacent, elle sera peut-être heureuse de le trouver pour médiateur, car si une puissance au monde est capable d’incliner à la patience l’âme de l’Irlande exaspérée par une iniquité de trois siècles, c’est la voix respectée de ses prêtres.

Ce qu’est l’Irlande pour l’Angleterre, la Pologne l’est pour la Russie. En vain la Russie a tenté d’en finir avec ce peuple partagé dont les lambeaux s’obstinaient à vivre. Elle avait discerné que la foi catholique perpétue en lui la patrie : elle avait entrepris contre la religion une guerre comme la savent conduire ceux qui, en supprimant un danger, espèrent tuer un remords. Mais même où elle a fait la solitude elle n’a pas trouvé la paix, et pour obtenir cette paix sur le sol gardé par ses armes, elle a dû la demander au chef du culte proscrit. Des négociations sans cesse rompues et toujours reprises entre elle et le saint-siège témoignent qu’elle n’a plus foi dans la violence, et sa fierté qui se révolte encore contre les conditions nécessaires d’un accord durable imitera tôt ou tard l’exemple donné par le grand peuple son voisin.

Ce peuple, le plus orgueilleux de sa force matérielle, l’Allemagne, après avoir rétabli l’empire, a songé à rouvrir la vieille querelle de l’empire et du sacerdoce. Cette fois, les catholiques sont dans le corps germanique une minorité, le protestantisme a ceint la couronne et tient l’épée, l’homme qui a fait l’empire espère achever contre l’église le cours non interrompu de ses victoires. La Pologne encore, l’Alsace, la Bavière sont les pierres branlantes dans l’édifice élevé par son génie. Partout où sont ses adversaires ou ses amis moins sûrs, les catholiques dominent. Le chancelier se propose de plier l’indépendance trop fière que leur religion leur enseigne, et les veut moins bons catholiques pour qu’ils soient meilleurs Allemands. Leurs prêtres leur soufflent la révolte qu’ils apprennent eux-mêmes de Rome. Il suffira que le gouvernement ferme les séminaires, instruise le clergé dans ses propres écoles, lui enseigne la mission providentielle de la force et l’infaillibilité de l’état, et choisisse pour gouverner les paroisses et les diocèses les hommes dont il aura éprouvé la souplesse ou le dévoûment. A la vérité, ces séminaires, ces paroisses et ces diocèses ont des titulaires dont on ne saurait espérer la retraite volontaire, ni attendre la mort. Mais un pouvoir qui a détrôné des rois saura chasser des évêques ; des soldats qui ont abattu d’un coup l’Autriche et six mois tenu la France sous leurs talons n’ont devant eux qu’une armée d’écoliers et de vieillards. La lutte s’engage, elle dure huit années, et à mesure qu’elle se prolonge l’agitation des consciences s’accroît, le mécontentement public s’affirme, un parti se forme pour combattre la persécution religieuse, et devient assez puissant pour faire échec