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Ne se jugent-ils pas eux-mêmes, les hommes qui, après avoir systématiquement combattu et détruit dans la nation les traditions, les croyances, le trésor de son unité morale, avouent l’urgence de tout rétablir? Par quoi prétendent-ils le remplacer et sur quelles idées sont-ils d’accord eux-mêmes? Quiconque aspire à gouverner les hommes doit connaître et leur dire le but de la vie : c’est de leur destinée que découlent leurs devoirs. Les fils de la révolution, après avoir rejeté les hypothèses religieuses et borné leur regard à ce monde, ont-ils trouvé le moyen de justifier la société, ses inégalités et ses misères? Ont-ils trouvé le moyen de la changer? Rien égale-t-il la contradiction de leurs systèmes et de leurs remèdes, sinon leur commune impuissance ? Est-il enfin un ridicule comparable à celui de politiciens qui, après avoir organisé l’instabilité de tous les pouvoirs et leur soumission aux caprices populaires, s’imaginent de régler en maîtres le présent et s’inquiètent de l’avenir, sortis par un hasard de la foule dans laquelle ils seront replongés demain, veulent former les générations successives sur un plan conçu par eux, négateurs de l’âme se croient charge d’âmes, et s’arrogent une sorte de droit divin pour supprimer Dieu ?

À cette tentative misérable les catholiques opposeront la puissance de leur organisation. Unis dans une foi commune, soumis à une forte hiérarchie, eux du moins échappent à l’anarchie des idées. Leur croyance en un monde futur explique le monde présent, rend ses iniquités supportables, puisqu’elles ne semblent plus un défi, mais un retard de la justice, donne aux favorisés la pensée qu’ils détiennent une part du bonheur des autres, aux malheureux l’espoir qu’ils épuisent leur part de douleurs, et par suite légitime l’ordre social, que nul jamais n’a pu changer.

Oserait-on affirmer que le jour ne viendra jamais où la France, lassée d’aimer la liberté sans l’avoir obtenue jamais, livrée par l’impuissance du pouvoir aux expériences de la démagogie, aspirera à retrouver des traditions, des croyances, une autorité puissante, et, comme Israël, cherchera des chefs pour fuir le désert de ses libertés et trouver, sous leur conduite, la terre promise? Ce jour-là, elle ne choisira pas ceux qui l’auront instruite dans l’erreur, trompée sans cesse, dont elle aura éprouvé l’indifférence pour ses maux, la lâcheté devant tous les périls, l’ineptie dans le conseil. Elle portera sa confiance à ceux qui n’auront pas été complices de ses longues fautes, auront gardé les principes les plus sûrs, la hiérarchie la plus solide, le sentiment le plus profond de l’autorité, et seront les plus capables d’inspirer au pouvoir le respect du peuple et au peuple le respect du pouvoir.

La rupture entre l’église et l’état prépare une réaction catholique. Libérale, cette réaction menace le pouvoir du parti républicain,