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n’ignorait pas davantage que son protecteur le plus ancien, le plus intéressé, le plus généreux était la France. Il était le plus disposé à conseiller les concessions, comme il était le plus fort pour vaincre les scrupules qu’elles auraient soulevés.

Or cet édifice pacifique a pour clé de voûte le concordat. Grâce à lui, le sort de l’église est fixé par deux maîtres : celui de la société politique et celui de la société religieuse. Indépendans de tous, ils ont réglé les droits et les devoirs de tous, et chaque autorité établie par leur ordre se trouve dépendante d’eux et indépendante de ceux à qui elle doit commander : l’évêque ne tient des prêtres, le prêtre ne tient des fidèles ni ses pouvoirs spirituels, ni son existence matérielle. La vocation de ceux qui ont reçu cette autorité, les qualités qu’ils acquièrent en l’exerçant, la prudence que donne la responsabilité, le calme des hauteurs où ils vivent, leur respect envers ceux qui embrassent la vérité d’un regard plus étendu et la proclament d’une voix plus certaine encore, tout concourt à remettre les destinées de la religion aux plus sages, aux plus patiens, aux plus pacifiques, et dans cette chaîne de subordination qui maintient l’unité, la sagesse du peuple est une obéissance à la sagesse du clergé, la sagesse du clergé une obéissance à la sagesse du pape, et il suffirait de la raison d’un homme pour imposer la raison à tous.

Que le concordat disparaisse, tout change et surtout les hommes.

Ce ne seront plus les mêmes catholiques. L’apparence qui permettait au gouvernement de nier ses attaques et au peuple de ne pas les voir tombera. La rupture du traité sera une déclaration solennelle de guerre, elle obligera les fidèles à renier leur culte ou à le soutenir seuls. Dans tous les pays où les catholiques ne peuvent compter sur le secours de l’état, le souci des intérêts qui reposent sur eux les éveille : ils se groupent, réunissent leurs ressources, associent leurs efforts et apprennent le secret de puissance caché dans l’union des faibles. Dans un pays où l’état s’emploiera à les combattre, leur puissance se tournera contre l’état. Il ne les trouvera alors que trop guéris de leur torpeur. Les mêmes vertus, en effet, qui leur sont nécessaires pour former leur société religieuse, l’initiative, la persévérance, la générosité, le courage, leur permettent d’exercer une action politique. L’habitude d’affronter les obstacles, qui donne le goût de la lutte, un désir naturel de représailles, une irritation que chaque incident accroîtra, les porteront à disputer le pouvoir partout où ils auront à s’en plaindre, et, comme ils vivent sous un régime où le pouvoir étend partout sa main, ils essaieront de prendre le gouvernement des communes, des départemens, de l’état : premier résultat d’un changement qui les obligera à devenir maîtres pour être libres.